Y a-t-il plus représentatif du libéralisme sauvage que le système mafieux, cherchant à s’accaparer les territoires qui ne leur appartiennent pas et à écraser par tous les moyens les réticences et autres résistances pour mieux faire de l’argent ? L’intérêt principal du Mohican, second long métrage de Frédéric Farrucci après La Nuit venue sorti en 2020, réside finalement plus dans ce constat que dans son histoire même, qui ne semble au fond reposer que sur une situation étirée sur un peu moins d’une heure et demie visant à exemplifier cette vision de notre époque quelque peu chaotique.
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Avant la fuite (A. Manenti) (©Ad Vitam)
Partons du récit, cependant : le « Mohican » du titre, le dernier d’entre eux, l’un des rares bergers à travailler encore sur le littoral corse, c’est Joseph (Alexis Manenti, convaincant mais surjouant un peu trop le renfrognement peu loquace censément propre tant à sa profession qu’à son origine). Il travaille dur, se lève tôt et se couche tard. Pas de chance : sa bergerie et le bout de côte escarpé où il lâche son troupeau sont convoités pour un projet immobilier très louche par la Famille du coin, dont le négociateur porte-flingues, Michel (Michel Ferracci), vient jour après jour voir le petit berger, tantôt mielleux tantôt colérique mais toujours menaçant, afin de le faire céder. Ce que Joseph ne fait pas : lors d’un ultimatum durant lequel les armes sont de sortie, il tue Michel. Ce qui fait l’effet d’une étincelle sur un baril de poudre : toute la Famille pourchasse Joseph sur le territoire corse, jusqu’à éliminer ou intimider ses connaissances, alors que de jour en jour, le fuyard devient une sorte de héraut de la résistance levé contre ce pouvoir armé illégitime grâce à sa nièce, Vannina (Mara Taquin), jeune Corse devenue Parisienne en villégiature sur l’Ile de Beauté qui va user des réseaux sociaux pour défendre son jeune oncle et devenir une sorte de lanceuse d’alerte anti-mafia.
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Le poids de la menace sur les épaules (A. Manenti) (©Ad Vitam)
Une courte séquence résume le propos sous-jacent du Mohican, imparfait mais politiquement lucide : alors que Joseph est en fuite, la population corse se rassemble devant la gendarmerie menant l’enquête (et dont les agents sont, pour certains, de mèche avec le milieu), portant fièrement le gilet jaune et, en colère, provoque une émeute pleine de feu et de fumigènes afin de montrer son soutien à cet homme moyen devenu meurtrier en cavale. Par cette seule séquence, Farrucci semble montrer la véritable ambition de son film : se faire le témoin d’une France en colère par le truchement d’une Corse fondamentalement hostile à la centralisation du pouvoir métropolitain. Prendre le pouls d’une époque parfaitement bancale et d’un peuple défiant ceux qui le représentent et les symboles républicains derrière lesquels ils s’abritent. Montrer un monde contemporain où la communication de la colère se révèle aussi bien physique (les coups de feu et de poing, l’émeute citée plus haut, la violence généralisée) que virtuelle ; de ce point de vue, l’insertion dans le récit des post Facebook de Vannina s’avère vraiment pertinente, étendant comme une tache d’huile le statut de héros de son oncle au-delà des simples limites insulaires en plus de faire le portrait d’une Corse contemporaine bien peu engageante. Par le biais d’un monde virtuel sans frontières, Frédéric Farrucci fait du courroux populaire corsu qu’il dépeint un désordre globalisé.
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La colère du monde moderne (M. Taquin) (©Ad Vitam)
Le choix de situer l’intrigue du Mohican sur l’Ile de Beauté, certainement motivé par les origines du réalisateur, semble de ce fait presque anecdotique, voire stéréotypé tant l’endroit n’est ordinairement représenté que sous l’angle des systèmes mafieux et d’un peuple taiseux et farouchement indépendant, libertaire et brutal. Farrucci coche ici toutes les cases alors même que son propos politique, on le répète lucide et à-propos, aurait gagné à s’expatrier en des terres moins marquées et moins connues d’un cinéaste qui semble chercher à montrer la force du peuple de sa région mais ne parvient finalement qu’à en reproduire l’image d’Epinal (qui n’est par ailleurs pas en Corse !). C’est dommage tant cette maladresse d’approche leste le récit d’un film qui en deviendrait presque attendu, ceci malgré les efforts de tous, Alexis Manenti en tête, pour le faire vivre. Pour le dire autrement, le film, ou tout du moins son histoire, la trajectoire de son personnage de berger tueur à l’improviste, les larmes et l’effroi que cette dernière est censée provoquer, intéressent moins que la richesse du constat social qu’ils portent discrètement en leur sein. Même Frédéric Farrucci semble s’en rendre compte tant le final du Mohican expédie les affaires courantes (le dernier affrontement entre Joseph et le jeune chef de la mafia), met les personnages de côté (que deviennent les fermiers adjuvants du berger, touchés par balle lors du dernier mouvement du film ?). Une manière comme une autre de précipiter un récit qui avait en fin de compte moins d’énergie et de potentiel que prévu une fois qu’il eut permis à tout son sel dialectique et politique d’exsuder du corps de cette œuvre dans son ensemble assez pertinente mais qui finit totalement essoufflée.
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