Sous le soleil exactement!
Paris et sa banlieue. Deux histoires, « deux contes » sur une journée d’été. La première, L’amie du dimanche : Miléna et Lucie profitent d’un dimanche ensoleillé pour passer la journée sur la base de loisirs de Cergy-Pontoise. La seconde, Hanne et la fête nationale : Hanne, une étudiante norvégienne, exerce un étrange pouvoir de séduction sur trois hommes et va devoir se départir malgré elle de son apparente innocence.
Troisième long métrage de Guillaume Brac ( Tonnerre sorti en 2013, L’île au Trésor sorti il y a à peine 15 jours) Contes de Juillet évoque immédiatement le cinéma de Rohmer par son titre, sa société de production, sa structure, ou plutôt sa « forme ». Comme si à l’instar d’un aphorisme mis en exergue, ils contribuaient d’emblée à donner le ton. Mais les premières images plus encore confirment cette filiation. Deux jeunes femmes ordinaires, sur des marches d’escalier que l’on suppose être l’arrière-boutique du magasin où elles travaillent comme vendeuses, parce qu’elles sont regardées avec acuité et délicatesse, « font cinéma », et le film s’émancipe de tout ancrage naturaliste et mimétique.
Ces deux contes sont nés d’un atelier avec les étudiants de deuxième année du conservatoire, dans une configuration très minimaliste : trois techniciens, une petite caméra numérique, un pied, un micro. Le choix de la simplicité et de l’économie donne alors à voir les personnages, comme les lieux qu’ils traversent, dans leur réalité première. La mise en scène du cinéaste s’attache à saisir avant tout des émotions traduites dans le réel, à « appréhender, capter la vie dans ce qu’elle dérobait jusque-là »(1) : donner à voir la dimension « miraculeuse » de l’ordinaire.
L’histoire de Milena et Lucie d’abord. Elle sont des collègues de travail mais une journée passée sur cette « île au trésor » est l’occasion d’une véritable rencontre: la leur, comme recommencée, puis celle avec deux garçons. Dès leur départ en RER, d’ailleurs, les deux jeunes femmes s’interrogent mutuellement, avec la légèreté qui convient lorsque l’on prend le questionnement véritablement au sérieux: Lucie n’aime pas le vernis à ongles car elle ne veut pas attirer l’attention à cet endroit, mais préfère le rouge à lèvres car attirer l’attention sur la bouche, elle trouve ça plus joli. Trivialité apparente d’une conversation, préoccupations « humaines, trop humaines » qui pourtant posent déjà un rapport au monde. Et ce rapport au monde est regardé, en détail, à travers justement ce qu’une rencontre bouleverse, produit.
L’espace devient alors la caisse de résonance de ces changements, ce monde plus doux de possibles étonnements. Espace de marges, d’abords, de transgression, lieu utopique et de liberté. Là où les corps sont autant habités par la lumière que par le présent, là où la parole se donne, où un regard hors-champ livre un horizon de possibles après un geste tendre. Où un garçon rencontré en pleine verdure, faisant de l’escrime devient le comte de Monte Cristo. Les cadres, comme occupés par cette tonalité affective et vitale, suffisamment larges, respirent. Et le parti pris d’un tournage en plans séquence laisse cette vie entrer dans les plans, « qui n’est autre que la beauté même de la vie en tant que telle »(2). Ce regard posé par Guillaume Brac sur la nature, sur le réel découvre cet être au monde de ses personnages, leur devenir intérieur.
Tandis que le premier conte s’achève sur un plan des deux jeunes femmes qui s’endorment sur l’épaule l’une de l’autre, le second débute sur le réveil d’Hanne ( étudiante norvégienne), horrifiée de découvrir Andréa (étudiant italien) en train de se masturber en la regardant. Ce conte a ce même charme mais l’insouciance glisse vers la gravité, et ce dès le départ. On retrouve Hanne sur les Champs-Elysées, en plein défilé du 14 Juillet. Un autre garçon (Roman, étudiant français) la regarde, la suit dans ses déambulations et l’invite à sortir avec lui le soir même pour le feu d’artifices. Hanne hésite, et accepte un rendez-vous. Roman vient la chercher à la résidence universitaire, et, confronté à la jalousie, se fait frapper par Andréa. Un pompier (Sipan) le prend en charge. Une soirée improvisée alors dans la cuisine de la résidence réunit les trois garçons, Hanne et une amie, Salomé, étudiante en physique quantique, donc spécialiste de l’aléatoire. Là aussi la rencontre est le coeur du récit. Elle en est le mouvement.
Et au mouvement qui se joue entre les personnages s’ajoute une distance variable à laquelle se place la caméra, autre pôle de cet espace sentimental. Les positions relatives de chacun ne cessent de varier car le mouvement, la distance et la variation sont en accord intime avec le jeu de séduction dans lequel les personnages sont entraînés. Chaque nouvelle position relance le jeu. Parce qu’il s’agit aussi peut-être pour chacun de trouver sa place, son espace. Puis en changer. D’ailleurs l’été est fini, et avec lui l’insouciance. D’autant plus qu’aux plans silencieux d’Hanne à la fin de la soirée se superpose le son des informations sur l’attentat du 14 juillet à Nice. Son évocation crée un hors-champ qui fait que la fiction est rattrapée par le réel… « Chacun de vous est concerné »(4) mais pourtant « le réalisateur-auteur de demain connaîtra la joie exaltante de trouver son style dans la texture même du réel »(5). Guillaume Brac en fait peut-être le pari, joyeux et tragique.
- Eric Rohmer, « Avant-propos » (1963), dans Le Celluloïd et le Marbre, p.21.
- Ibid
- Guillaume Brac, « Par les temps qui courent », entretien avec Marie Richeux, France culture, 27/06/2018.
- Chanson du film, interprétée par Andréa, chanson politique de Dominique Grange de mai 68.
- Eric Rohmer, Le goût de la beauté, p 46.
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