Énorme succès en Italie, le premier long métrage de Gabriele Mainetti doit beaucoup à la persévérance de son réalisateur. À la tête d’une production à petit budget, il peut désormais savourer la réussite de son projet. Auréolé de prix, On l’appelle Jeeg Robot débarque enfin en France et affiche une audace et une profondeur que beaucoup de blockbusters américains n’ont plus.
Le film se définit d’abord comme une simple histoire de super-héros. La narration en respecte chaque étape, de la scène originelle à l’incarnation finale en passant par la découverte des super-pouvoirs, leur utilisation à des fins personnelles avant la prise de conscience du rôle à tenir. La valeur initiatique du récit fait appel aux notions de bien et de mal : les interventions de personnages positifs et négatifs viennent en illustrer les caractéristiques, l’humanisme des uns entrant alors en conflit avec l’avidité des autres dans une guerre sans merci.
Pourtant, Gabriele Mainetti ne cherche pas à singer les modèles du genre : il a pour objectif de proposer un récit original dans lequel l’Italie contemporaine entre en résonance avec les codes des comics. Ni journaliste ni milliardaire, le personnage principal endosse la défroque d’un malfaiteur à la petite semaine solitaire et misanthrope. Quant à l’action, elle se situe en partie à Tor Bella Monaca, quartier difficile de la banlieue de Rome, la cité éternelle ne jouant qu’un rôle de figurant.
Le faible coût de production contraint le cinéaste à ne pas miser sur le côté spectaculaire des effets spéciaux. L’habileté du scénario, le rythme de la mise en scène et surtout le choix de mêler les genres permettent au film de se renouveler continuellement. La trame principale s’enrichit alors de multiples ramifications, chaque personnage apportant avec lui un univers différent. Alessia, fille d’un complice abattu « en mission », jeune femme perturbée par un trauma complexe, a quitté la réalité pour ne vivre qu’à travers l’univers du manga Jeeg Robot d’Acier ; le méchant, caïd sanguinaire et maniaque, ancien candidat de la télé-réalité, ne rêve que de gloire youtubesque. Même la Camorra locale joue le décalage avec pour parrain une marraine aussi énigmatique que brutale.
Enzo l’anti-héros opère sa métamorphose dans un environnement hostile. La cité dans laquelle il habite survit grâce aux magouilles et trafics divers. Le sombre avenir et la nécessité de se méfier de tous laisse peu de place à l’altruisme. Et puis Rome vit sous la menace constante de bombes qui explosent. Attribués à un groupuscule d’extrême-droite, les attentats réguliers plongent la ville dans un climat de peur et de suspicion.
Premier témoin puis accompagnatrice de la transformation d’Enzo, Alessia devient la véritable clé de voûte du film. Elle ne se contente pas de fournir au super-héros en devenir sa représentation clé en main (Hiroshi Shiba, personnage principal du manga qu’elle vénère), elle lui transmet également une feuille de route lui indiquant quelle doit être sa mission. Mieux, par sa nature fragile mais volontaire, généreuse mais pas naïve, elle permet au malfrat bourru de s’ouvrir et d’aimer. La relation amoureuse qui naît entre eux, loin d’être anecdotique, donne une dimension inattendue au récit. Inconfortable et amorale, elle prend bientôt une dimension poétique et romanesque avant de bouleverser.
La mise en scène combine la grammaire du cinéma d’action (montage rapide, ralentis) avec une subtile stylisation formelle. Les décors sombres et la manière dont la photographie les éclaire, le contraste entre les noirs et les gris des intérieurs et les couleurs vives des mangas ou des vêtements d’Alessia, contribuent à parfaire l’identité d’un film qui puise dans le néo-réalisme comme dans la fantaisie pop. Avançant à un rythme qui ne faiblit pas, On l’appelle Jeeg Robot s’enrichit constamment, se nourrissant lui-même de mille détails pour capter l’attention, rebondir et tracer sa route. Épousant la métamorphose d’Enzo, la bande originale co-écrite par Michele Braga et Gabriele Mainetti lui-même démarre par des sonorités électro avant de gagner en lyrisme. Parcouru de chansons de pure pop italienne, le film n’oublie pourtant pas d’afficher ses origines latines.
Acteur phare de Romanzo criminale et star en Italie, Claudio Santamaria a grossi pour devenir cet Enzo pas totalement bien dans sa peau. Si le beau gosse perd en sex-appeal, il gagne en complexité et permet à son personnage de grandir et d’évoluer en même temps qu’il se transforme. Danseuse et DJ, Ilenia Pastorelli débute de belle manière dans le cinéma : son interprétation d’Alessia, femme-enfant beaucoup plus en phase avec le monde qu’elle le laisse paraître, apporte au film douceur et profondeur. Acteur de théâtre découvert dans La solitude des nombres premiers, Luca Marinelli incarne le personnage de Zingaro avec emphase sans jamais tomber dans la caricature. Victime d’un mal contemporain extrêmement répandu (le besoin d’exister aux yeux du monde via la télé-réalité ou les réseaux sociaux), chef de gang grimaçant et violent faisant écho au Malcolm McDowell d’Orange mécanique, il rivalise sans complexe avec n’importe quel Joker.
Si Gabriele Mainetti revendique « un mélange entre Pasolini et la science-fiction », d’autres rapprochement viennent à l’esprit : The host pour le métissage des styles et le sous-texte écologique, Phantom of the paradise pour la démesure de Zingaro, d’autres sans doute. Mais le film s’impose surtout par son originalité : se nourrissant de multiples références, il réussit à inventer un personnage nouveau à la fois contemporain et mythique, un être de chair qui vit, évolue et se révèle dans un final qui n’a rien à envier aux plus grosses productions. Foisonnant et ludique, retrouvant la grâce du conte fantastique, On l’appelle Jeeg Robot dépoussière le genre et lui ouvre de nouveaux horizons.
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