Très bien documenté El grand dragon traduit pleinement les implications sans faille de ses deux réalisateurs, Gildas Nivet et Tristant Guerlotté (qui en assurent aussi fait l’image, le son, la production, post-production) et des intervenants. El grand dragon a les qualités de ses défauts : il pèche par sa générosité et la prolifération d’infos égare parfois le spectateur en route. Peu importe : instructif en diable, le documentaire délivre un message salutaire quant à l’avidité de la civilisation au détriment de la sauvegarde d’un savoir ancestral, la déforestation pour exporter le bois d’Amazonie, au prix de la perte de ses plantes médicinales.
Le tandem de réalisateurs a sillonné l’Amazonie pour rencontrer les intervenants de leur film, puis pour le diffuser ensuite dans des villages. Avant de sortir dans les réseaux de distribution, El Gran Dragon a d’abord été projeté dans les villes et villages péruviens qui avaient été filmés lors du tournage. Une façon loyale de partager la connaissance, de même que les intervenants livrent des secrets de médecine ancestrale et luttent pour son maintien. Tout le documentaire est structuré autour d’entretiens croisés d’un guérisseur végétaliste, le directeur de l’IMET ( Institut de la Médecine Traditionnelle), un ayahuasquero, des botanistes, un tabaquero, un membre d’associations pour la défense de la forêt, un chamane, un garde forestier…
Tout l’enjeu fort du film est résumé ici: « poursuivre les médecines sacrées, se souvenir du passé. » Comme le confirmera une membre du jardin botanique : « Ce sont les pays andins qui ont le mieux conservé la médecine traditionnelle ». Or, malgré une convention au Pérou visant à soutenir la médecine traditionnelle, elle est mise à mal par l’administration péruvienne, qui tronçonne les arbres précieux des forêts, démolit ses richesses, pris en étau entre une volonté de se développer et une autre de sauvegarder : garder ses trésors naturels et rester pauvre ou bien, s’enrichir au détriment de son patrimoine ancestral ? Tel est l’éternel dilemme.
Parfois pataud et dilué, ce plaidoyer pour la survie du savoir ancestral et des médecines naturelles a beau être n’en demeure pas moins touchant et essentiel, de par sa dimension politique indéniable : affres de la mondialisation, guerre de l’industrialisation : vidéos, nouvelles technologies… contre la médecine traditionnelle, le savoir des plantes. L’être humain viserait à donner accès à la connaissance, non par le pouvoir de plantes naturelles, mais via des canaux désincarnés, tel internet qui produirait des sortes de vidéo-manuels de médecine, la pédagogie virtuelle remplacerait l’expérience humaine. En cela le travail de Nivet et Guerlotté est remarquable, les liens qu’ils ont tissé avec les autochtones sont indéniables. La transmission du savoir opère, nonobstant les quelques maladresses.
El gran Dragon se regarde avec un vif intérêt et nous éveille.
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