Il a pourtant mis toutes ses tripes, un projet de plus de 15 ans venu d’un bouquin prêté par Benoit Poelvoorde (« L’amour ouf » de Neville Thompson, 2000), un fantasme, celui de titiller ses grands maîtres (Scorsese en tête), se rêver en grand metteur en scène et délivrer son épique chef d’œuvre. Et c’est bien la raison de son échec. Il y a une telle débauche de tentative ratée, de plans inconséquents, de maladresse criarde que l’on finirait presque par avoir un brin d’empathie pour ce désastre, comme le mauvais élève en fond de classe qui tente de lever le doigt malgré sa mauvaise réponse, le pianiste du dimanche qui écorche Mahler, le joggeur du samedi matin qui s’affale après trois kilomètres de sueur. Oui, Lellouche fait face à ses propres limites, celles d’un cinéaste moyen qui s’attaque à une montagne qui le dépasse, et pour cacher ses absences, il a beau tirer la couverture dans tous les sens, ses pieds dépasseront toujours. Tout d’abord, par cette manie excédante en Michael Mann du pauvre à s’inventer une identité visuelle avec ces mouvements de caméras brusques et multidirectionnels qui boursouflent un peu plus le tas de maquillage suintant qui recouvre chacun de ses cadrages.  Tout est trop travaillé, réfléchi, mais millimétriquement toujours à côté, il n’y a aucun sens esthétique, un cinéaste de l’insensible qui répète ses gammes en espérant impressionner la foule, nous en foutre plein les dents dans une sur-démonstration d’un talent dont il en est dénué. Le forçage à contre-nature ne s’arrête pas là, et s’enfonce un peu plus dans le malaise lorsque les scènes charnelles se dessinent enfin. Autant il peut sauver les meubles dans l’action, autant pour filmer le désir, un aveugle dans un magasin de porcelaine. Cette poésie de la chaire qu’il rêve d’endosser, lui le bourru pétomane à faire marrer les troupes (« Les Infidèles » en 2012), et bien quel désastre avec ces gros plans peau à peau de fin d’étude Master 2 cinéma. Filmer l’amour, c’est non pas l’avoir vécu, mais bien savoir le comprendre, savoir le ressentir et le faire transpirer à travers les corps. L’amour pour Lellouche, sait-il vraiment ce qu’il est ? Il est filmé comme un fantasme, le fameux amour maudit, vieille idée rabougrie et gonflante. En conséquence de  quoi, rien, pas une vague d’émotion, pas une seule étincelle sulfureuse et sexualisée, le vent glacial de l’indifférence.

© Trésor Films – Chi-Fou-Mi Productions – Studiocanal / Cédric Bertrand

2h40 d’amour (et de violence), 2h40 à nous bassiner sur cette intemporelle histoire d’amour entre Clotaire et Jaqueline (dit Jackie), de leur fougueuse jeunesse à leur vie d’adulte, de leurs gamineries sous le toit des parents jusqu’à leur destin croisé à la majorité. 2h40 en érigeant l’amour comme salvateur, une cassette avec un cœur, une liste de synonymes pour ouvrir son cœur, des plans larges sur le premier baiser, des plans serrés sur le premier rapport, puis la vie les séparant, la distance et l’oubli. Non, jamais l’oubli, car cet Amour en A majuscule ne pourra évidemment jamais s’éteindre. Malgré la prison de Clotaire, malgré le mari de Jackie. 2h40 à nous tabasser d’amour pour nous le faire bien rentrer dans la caboche à coup d’enclume. Et bien rien n’y fait. Cet amour, on n’y croit pas, de cette relation Francois Civil/Adèle Exarchopoulos ne se dégage qu’un fumet laborieux de phéromone bien volatile, il n’y a pas d’amour entre les deux, il n’y a que le vent maigre du désespoir, de l’ennui, de la bêtise fantasmée par Lellouche qui bien tristement s’excite à imager l’amour, son propre amour propre, comme une malédiction aspergée de violence. Le film file, désincarné, endeuillé par l’échec de son incapacité maladive à émouvoir, à transmettre, son impuissance à faire vivre l’amour par le regard, l’amour par le jeu et le touché, l’amour par l’impulsif, la poésie de l’instant, du vrai. Comment peut-on espérer filmer l’amour avec tant de boursouflures, d’effet de manche, de théâtralité balourde ? Alors qu’il ne suffit d’un rien. Ou peut-être si, une certaine sensibilité à la mesure, à l’authenticité.

© Trésor Films – Chi-Fou-Mi Productions – Studiocanal / Cédric Bertrand

Le cinéma est une terrible épreuve de vérité, à la fois technique (il en est truffé d’erreurs) et esthétique (il en est dépourvu), mais surtout il est un acte de foi, un regard nu dans un miroir transparent, face au public, le cinéaste vient livrer ses plus profondes et personnelles interrogations. Et c’est ainsi qu’il touche et nous retourne, lorsqu’il extirpe l’essence de ce qu’il le fait vivre, ce qui le fait respirer, et aimer. A l’inverse, un cinéaste qui trompe et falsifie, personne n’est dupe, et l’échec tombe en couperet définitif. Et de cet « Amour Ouf », qui peut vraiment y croire ? Car là est bien l’échec total de l’entreprise, nous tanner à pleurer, à vouloir nous extirper une larme, un gazouillis dans le ventre, un regard béat et admiratif, il force, encore, et encore, rajoutant le viol de l’ex-mari dans la cabine téléphonique, le plan large robotique, et le happy-ending sous le feu d’un coucher de soleil DePalmesque pour espérer nous toucher. Alors qu’il suffit bien souvent d’un simple geste, d’un détail, d’un sens « artistique » qui défeuille l’amour à son plus simple appareil : un Philippe Katerine et son ukulélé (« Ma vie, Ma gueule » de Sophie Fillières), un « je t’aime » face caméra filmée par smartphone (« La Romancière, le Film et le Heureux Hasard » de Hong Sang-soo). Lellouche s’est donc noyé dans sa propre ambition (démesurée), et nous avec. Dans cette maladie très contemporaine qu’est la recherche coûte que coûte du film « évènement », Coralie Fargeat avec sa « Substance » tire dans une direction similaire , celle de dénaturer le film de genre pour en faire un freak show parfaitement idiot, se rêvant en étendard moderne alors qu’elle ne fait que ressasser les vieilles lubies du siècle dernier (La jeunesse éternelle, Dorian Gray). Que ce soit donc chez Lellouche ou Fargeat, la démonstration et la recherche barbante du coup de force annihile ainsi toute spontanéité, à travers une histoire d’amour pour l’un ou l’horreur pour l’autre.

© Trésor Films – Chi-Fou-Mi Productions – Studiocanal / Cédric Bertrand

Dans ce film qui nous rabâche l’amour sans jamais réussir à le filmer, Lellouche se fracasse à ses propres limites, celles d’un cinéaste moyen qui se fantasmait en grand metteur en scène, laissant filer son « amour ouf » dans le glacial vent de l’indifférence.

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