La réinsertion sociale des riches par le biais de leur intégration au monde du travail afin de mieux comprendre les Français, voilà l’ambition malicieuse de Gilles Perret et François Ruffin au travers de ce nouveau documentaire. Après Bernard Arnault dans Merci patron !, et le député Bruno Bonnell dans Debout les femmes !, c’est au tour de l’avocate et chroniqueuse Sarah Saldmann d’être la cible (ou plutôt ici le cobaye) de Ruffin. Suite à une proposition de ce dernier sur un plateau de radio, la jeune femme a accepté de vivre le quotidien précaire de ceux et celles qui font vivre le pays en travaillant à leurs côtés. Entre portraits touchants et mise à l’index rigolarde d’une personnalité controversée, comment le film réussit-il son pari sans éviter les sujets de dissension ? 

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En quelques extraits, sorte de worst of de ses propos outranciers sur les différents médias dans lesquels elle officie (RMC, CNews), la persona publique de Saldmann est posée, justifiant les réticences initiales de Perret à embarquer dans l’aventure. C’est précisément dans ce choc des cultures (France d’en haut contre France d’en bas) que le long-métrage trouve son intérêt premier. Au fil des rencontres, le duo de cinéastes brosse le portrait d’une jeune femme issue d’un milieu aisé, coupée des réalités, au point de se considérer de « la classe moyenne » dans une autocaricature probablement involontaire. Entre rendez-vous au Plaza Athénée et séance de shopping dans une vente privée chez Balmain, où elle croise la route d’une admiratrice, le documentaire s’amuse de ce monde parallèle luxueux et oisif. De ces séquences, émane un sens de la satire et du grotesque pas si éloignés des films de Ruben Östlund. Confrontée aux « fainéants » qu’elle dénonce à longueur d’interventions, le constat est net : les assistés ne sont pas ceux qu’elle pense. Ruffin évacue d’office la tentation de « tourisme social » condescendant qui pourrait être reproché à la démarche (Rendez-vous en terre inconnue est même évoqué). Etonnamment, les réalisateurs parviennent, au détour de quelques scènes et malgré ses réticences, à humaniser la jeune femme, la filmant sincèrement émue au contact d’une aide à domicile. Le député de la Somme, volontiers railleur (il admet « J’ai toujours rêvé de me faire servir par la grande bourgeoisie ») est même remis en question. Le temps d’un échange où il se moque des goûts de luxe de l’avocate, il est renvoyé dans les cordes, accusé d’être à son tour méprisant envers un monde qu’il ne connaît pas. Un constat amer de deux France définitivement irréconciliables, découle pourtant de l’absence de happy end. Le « licenciement » de Saldmann, suite notamment à ses prises de position sur l’affaire Nahel et les bombardements à Gaza, teinte le tout d’une amertume inattendue. Néanmoins, comme précisé dès le départ, ce n’est pas elle l’héroïne du film, simplement un témoin, poisson hors de l’eau prétexte à valoriser les personnes rencontrées au cours de son périple. 

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Comme toujours dans les films de Ruffin et Perret, J’veux du soleil ! en tête, il se dégage de ces portraits d’anonymes, une tendresse sincère et un refus de tout misérabilisme. Au boulot ! ne déroge pas à la règle, et prend la forme d’un road movie à travers l’Hexagone. De Lyon à Boulogne-sur-Mer, la parole est donnée à divers travailleurs : un livreur, des employés d’une usine de poisson en conserve, des serveuses, et même une équipe de foot féminin ou des bénévoles du Secours Populaire. Sans manichéisme, le documentaire s’intéresse même au patron d’une entreprise qui emploie des personnes en situation d’extrême précarité. Au cœur de ces échanges, ressortent des problématiques chères au binôme (rythme imposé aux salariés, dégâts sur les corps, sur le mental, aberration de la retraite à 64 ans), mais surtout le désir de considération et de respect par-delà des questions financières. Loin de toute logique partisane, les témoignages abordent également des sujets tels que l’immigration (au travers de la rencontre avec Haroon, un cuisinier afghan), le racisme, la discrimination à l’embauche ou les questions de genres au détour d’un dialogue avec un petit garçon. La confrontation des deux mondes, finalement plus poreux qu’il n’y paraît, se double d’une triste ironie lorsque Sarah Saldmann rencontre une ancienne femme de ménage d’un hôtel de luxe et un ex agent de sécurité d’un château. Ceux que l’on ne voit pas (ou que l’on ne veut pas voir) sont les véritables artisans du rayonnement du pays, de sa vitrine à l’international. Après avoir ausculté des parcours parsemés d’accidents de la vie, le film finit par orchestrer une inversion carnavalesque des classes dans une conclusion solaire. La France d’en bas se voit, l’espace d’une mise en scène de montée des marches, propulsée au sommet. Même si ce n’est que pour un instant fugace, la justice sociale fait du bien à voir.

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