« Quand l’utopie des résistants devient réalité »
Au regard de son sujet, de ses protagonistes très âgés et de ses archives, le dernier film de Gilles Perret, documentariste engagé et prolifique, est forcément un peu classique par sa forme. Quoique régulièrement magnifié par ses paysages, comme ce haut lieu de la résistance: le plateau des Glières, le film charme aussi avec ses portraits de très belles vieilles personnes. Il est enfin lié de bout en bout par une musique originale, douce et gaie, souvent décalée et parfois solennelle, comme une présence symbiotique et vibrante.
Les jours heureux « raconte » en toile de fond, la création du Conseil National de la Résistance, le C.N.R, en 1943, dans une France occupée par l’ennemi nazi et dirigée par le gouvernement collaborationniste de Pétain et de Laval. En premier plan de cette organisation, le film de Gilles Perret décrit l’histoire incroyable, vécue par quelques hommes, peu de droite et beaucoup de gauche: soit l’élaboration d’un programme utopiste, totalement inspiré des idées socialistes de l’époque (celles de Léon Blum en prison, un exemple parmi d’autres), et de celles des communistes, surreprésentés dans les maquis à la composition majoritairement ouvrière.
Ce qui était resté dans l’ombre de l’histoire de la Résistance, et que réussit à mettre en lumière Les Jours Heureux, textes à l’appui, ce sont les utopies, les valeurs, les idées, qui ont conduit seize jeunes résistants de toutes appartenances politiques, à penser puis rédiger un programme politique fondateur, profondément humaniste au sens moderne du terme et républicain, pour l’après-guerre… Un programme qui commence par l’application d’une première mesure, dès Août 1944, sur l’indépendance de la presse. Et qui s’achève fin 1946 par une loi sur le statut des fonctionnaires. Entre-temps le C.N.R. nationalise l’énergie, les banques, les entreprises qui ont collaboré, crée la sécurité sociale pour tous, notamment pour les personnes âgées, rétablit les quarante heures, instaure la retraite par répartition, etc. Une série de mesures qui auront durablement modifié le socle symbolique de la République jusqu’à aujourd’hui.
Les Jours Heureux donne la parole à quelques acteurs de cette aventure humaine. Ces héros, si ce mot a un sens il devrait avoir été inventé pour eux, sont aujourd’hui presque centenaires. Peu de temps après le tournage du film, Raymond Aubrac et Stéphane Hessel sont morts; Gilles Perret répond à une urgence historiographique en recueillant leurs témoignages. D’autant que la disparition de Stéphane Hessel laisse un goût d’inachevé. Il n’a pas seulement connu l’indignation, mais aussi la colère, la lutte, l’action concrète. Les autres, comme Léon Landini, Constant Paisant, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Daniel Cordier,… continuent de prodiguer généreusement leurs souvenirs, avec leur vivacité d’’esprit et leur sagesse, mais pour peu de temps encore…
Les Jours Heureux établit une passerelle entre l’histoire de ces jeunes hommes idéalistes, et la nôtre en train de se faire. Le film montre le chemin parcouru avec une précision historique qui condamne notre présent. Aujourd’hui, la Résistance est devenue une espèce de fable incontournable, comme le Gaullisme, anhistorique, mythifiée, presque un verbiage récurrent, qu’utilisent nos dirigeants à tout propos. Alors qu’ils ne cessent de remettre en cause ses acquis… Ceux interviewés sur l’héritage du programme du C.N.R., dans la seule partie déprimante du film, nous renvoient à la figure leurs réflexes de politiciens. Camus disait à la fin des années cinquante, la France est « provisoirement pauvre dans ses élites ». Un provisoire qui dure…
Grâce à « nos papys qui font toujours de la résistance », le film critique notre contemporanéité, et il questionne notre temporalité amnésiée. Où l’histoire ne passe plus guère… Pour preuve, rien de plus beau, d’utopiste aussi, que de filmer des jeunes gens conversant avec amour et respect, avec ces vieux messieurs alertes. Jeunes et vieux, optimistes ensemble !
Enfin ce film est positif, quant au devenir de l’humanité, à sa liberté d’inventer un nouvel humanisme. L’histoire est devenue une science humaine accomplie, souvent neutre, enrichie d’autres, comme la sociologie, l’ethnologie, l’archéologie, etc. A chaque fois que celle-ci passe, c’est une toute autre appréciation qui s’offre à nous, pour le meilleur à être au monde, et pour le meilleur à le comprendre. Accepter l’histoire telle qu’elle est, nous aide à sortir de nos peurs et de notre ignorance, toutes deux symboliques et contingentes, qui sont amenées à évoluer un jour ou à disparaitre.
L’hommage nécessaire qu’il rend, l’historiographie qui lui sert pour cheminer, les déclarations décevantes de nos dirigeants de Copé à Mélenchon, la passion timide et sincère d’une certaine jeunesse pour « Nos Anciens » encore vivants ; tout cela réuni, plus une fin comme un clin d’œil, contribue à faire des Jours Heureux une sorte de réenchantement du présent. Il invite à repartir en utopie, humaniste, puisque cela a déjà marché une fois !
Finissons par un rêve doux dingue… Les Jours Heureux serait vu et reçu comme un film à partager avec les gens qui nous sont chers, petits et grands. Poursuivons cette utopie un peu plus loin, persuadés que tout le monde devrait voir ce film d’histoire. Nous tous, citoyens de 7 à 77 ans, irions le voir en salle, sans attendre un hypothétique passage sur Arte (+7), ou sur une chaine publique en version courte. Nous partagerions une passion pour l’histoire dans un grand délire républicain, pensant pouvoir sortir la France de ses lacunes, de ces archaïsmes symboliques, qui la laisse « scotchée » à un passé fictionnel.
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