Un chaton s’éveille dans une forêt progressivement engloutie par un déluge digne de la Genèse. Affolé, fuyant avec tous les autres animaux il parvient à grimper sur une embarcation avec des congénères de diverses espèces. Le bateau file de rive en rive sauvant ou débarquant des hôtes dans les eaux tantôt calmes, tantôt tourmentées qui, peu à peu, recouvrent toute la surface de la terre. Pour le chat, l’entente avec des animaux aussi différents qu’incompatibles est un défi aussi grand que de surmonter la peur de l’eau et de s’adapter au nouveau monde qui s’impose.
Entre tradition et modernité, avec Flow, Gints Zilbalodis émerveille, et à l’heure où Pixar semble éternellement resservir le même graphisme, il redéfinit l’image de synthèse en lui donnant une tonalité enchanteresse qui renvoie aux dessins animés d’antan. L’émerveillement produit par cette épopée survivaliste repose sur le parti pris d’éviter tout anthropomorphisme, puisque la représentation de la nature est débarrassée des êtres humains, ceux-ci ayant mystérieusement disparu. La découverte au fil de la navigation de la nature et les vestiges de civilisation transfigurés, parfois accueillants, parfois hostiles, est une réussite esthétique. Cette immersion dans un rafraîchissant bain d’eau et de verdure aussi minimaliste que dépaysant, décroissance oblige, fonctionne d’autant mieux qu’elle est filmée en caméra subjective et embarquée. La reconstitution d’environnements foisonnants d’un vert tendre propre à la forêt lettone sans doute bien connue des animateurs Gints Zilbalodis et Matīss Kaža, mais aussi de combes, de montagnes, de lacs, de villes antiques, de pics rocheux, de fonds marins, tout en rappelant les grandes épopées immersives comme Avatar de James Cameron, travaillent à la réflexivité de la proposition escapiste tout en évitant, contrairement à Cameron, que la révolution technique n’avale l’imaginaire et le rende anonyme et froid.
En effet, l’intérêt du design, entièrement numérique, tient sur le fait qu’il emboîte fond et forme. Le voyage du chaton est aussi une incursion didactique dans la technique de cinématique du jeu vidéo. L’absence de narration psychologique laisse la place au sensitif et à la démonstration de la virtuosité permise par cette technologie. Les interactions entre les animaux, le dépaysement, la thématique de la survie font le reste pour soutenir la tension et l’attention. Le chaton, animal fédérateur s’il en est, avance façon First Person Shooter passant de tableau en tableau. Les simulations exhibent les possibilités incroyables des travellings 3d aux possibilités illimitées. Le réalisateur sollicite nos corps pour nous faire ressentir la course, les chocs, chutes, sauts, contacts de l’animal à grands renforts de mouvements de caméra avant, arrière, circulaire, aérienne, jouant du point de vue atmosphérique caractéristique de la 3d.
Mais Flow n’est pas seulement une expérience visuelle, technique et animaliste, c’est aussi un voyage auditif, qui permet de ressentir les matières, textures, densités, écoulements de la nature et entendre les chants, cris et bruits des animaux. Ainsi, le déluge nettoyant la surface de la terre déshumanisée et réanimalisée, la course sans fin du chaton dans son arche de Noé assurent un flow inouï, au fil de l’eau et de la mise en scène, tantôt linéaires, tantôt circulaires, toujours bruissantes, parfois douces et harmonieuses, parfois aussi violentes qu’une vague et vertigineuses qu’une tempête, mais toujours splendides.
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