Deuxième long-métrage diffusé en salles de Giordano Gederlini (co-scénariste ces dernières années de Tueurs de François Troukens et Jean-François Hensgens [2017], et, surtout, des Misérables de Ladj Ly [2019]), Entre la vie et la mort est un polar dont le titre s’avère représentatif de sa situation précaire, de son incapacité handicapante à choisir véritablement la voie qu’il veut emprunter. Ce polar penche-t-il en effet plutôt vers le hard boiled flirtant avec le vigilante movie, option qui serait intéressante étant donné que ce genre très américain ne s’implante finalement que très peu dans une vision européenne du cinéma de genre, ou se rapprocherait-il plutôt d’une démarche téléfilmique à la mode et plutôt vendeuse visible dans l’offre pléthorique de fictions policières inondant la grille des programmes, ceci au grand dam des membres de l’U2R (Union des Réalisatrices et Réalisateurs), syndicat dont une tribune récente montre l’inquiétude quant au peu de diversité et d’inventivité dans la production télévisuelle contemporaine ? Nous ne saurions trancher.
Que raconte le film de Gederlini ? La tristesse d’un homme. Conducteur de métro à Bruxelles, Leo (Antonio De La Torre) est un Espagnol exilé pour une raison qui restera toujours un peu obscure. Les jours, mornes, se suivent et se ressemblent. Jusqu’au jour où un jeune homme, semblant attendre la rame qu’il conduit, se jette sur les rails au moment où il arrive dans une station. Descendant en catastrophe pour tenter de sauver le garçon meurtri, il recueille les derniers mots du mourant et le trousseau de clés que lui confie ce dernier. Mettant le doigt dans un engrenage qui le touche de plus près qu’on ne le soupçonne d’abord, Leo va devoir tout autant sauver sa peau que venger ce jeune homme désespéré à force de tremper dans des affaires pas très propres…
Et Entre la vie et la mort de dérouler son programme attendu, alternant scènes de confrontation entre cet homme expatrié et peu disert et une police composée de flics désabusés un peu ratés sur les bords (de ce point de vue, le personnage d’enquêtrice sautant d’échec en échec que l’on veut mettre au clou, interprété par Marine Vacth, est pour le moins chargé) et de chefs durs et injustes un brin caricaturaux (rôle ingrat donné à un Olivier Gourmet qui fait ce qu’il peut mais qui ne trouve jamais vraiment la bonne note de son personnage), moments d’affrontement trop artificiel pour convaincre pleinement avec des gangsters sans pitié usant de leurs poings et de leurs gros guns pour imposer leur loi mais inaptes à se débarrasser de cet homme qu’ils sous-estiment sans clairvoyance, sans compter les filatures qui foirent et les histoires d’amour nécessairement tragiques entre policiers qui achèvent d’enfoncer le récit dans une insondable noirceur. Le choix de distribuer le rappeur Nessbeal (par ailleurs pas mauvais, la question n’est pas là) dans le rôle d’un gangster est en soi symptomatique de la volonté du film de se lover dans les lieux communs et les facilités d’un récit policier qui n’intéresse plus vraiment lorsqu’il ne rebat pas assez ses cartes génériques, empruntant presque tout à une série comme Engrenages (2005-2020) qui, elle, fut novatrice dans ses systèmes de représentation du policier sur les écrans français.
Tout cela est dommage car Entre la vie et la mort n’est pas sans idées judicieuses, comme cette façon d’éclairer les zones d’ombres du récit et des personnages au rythme de la restauration d’images endommagées enregistrées par la caméra d’un policier infiltré et récupérées par notre vengeur espagnol, tenant le spectateur en haleine par le biais d’informations délivrées par dose homéopathique tout en permettant l’immersion de la prise de vue embedded ; dans ses intentions de départ, il n’est pas sans mystère (l’intrigante séquence d’ouverture, dont on n’arrive pas immédiatement à cerner le statut de simple introduction, de flash-back ou de flash-forward) ni sans énergie (la première bagarre dans l’appartement, dont on regrettera malheureusement vite la rugosité et le sens du réalisme), ceci avant de retomber lassement comme un soufflé qui aurait trop attendu. Le film de Gederlini donne trop, trop vite et trop tôt, s’enlisant par tarissement de ses idées dans les conventions, tentant parfois d’émailler le récit de scènes d’actions inégales mais parfois bien troussées (un bon moment sur le toit d’une usine désaffectée) mais tirant à la corde jusqu’à un final aussi expédié que discutable.
Reste à évoquer Antonio De La Torre, acteur prodigieux, alchimiste qui transforme le plomb en or parvenant, avec une étonnante économie de moyens, à exprimer avec puissance la tristesse de ses personnages et leur dangerosité sous-jacente. En homme meurtri apparemment diminué, peu causant mais renfermant une brutalité blessée, il montre encore une fois l’étendue de son talent. Cela ne suffira pas à sauver complètement les ambitions manquées d’un film trop vite épuisé, mais cet acteur reste sans conteste l’intérêt majeur, voire unique, d’Entre la vie et la mort.
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