En ce début du mois de janvier, on comprendrait que la perspective de la reprise vous mine. Rien de tel alors que le dernier film de Greta Gerwig pour conjurer le spleen. Autorisez-vous un détour par la maison des filles du Docteur March : entrez dans leur univers enchanteur et laissez-vous envahir par leur jeunesse étourdissante et leur folle gaieté.
Greta Gerwig signe ici une belle adaptation du roman de Louisa May Alcott, servie par des actrices extraordinaires dans un film globalement réjouissant, dont on regrette qu’il cède par moments à la facilité dans sa réalisation. Cette version de Little women à l’ère de #MeToo est remarquable par son traitement féministe subtil : en mettant en scène des personnages de femmes aux destins variés, Greta Gerwig interroge, à la suite de Louisa May Alcott, la place de la femme dans la société américaine de la fin du XIXe siècle et dénonce la mainmise des hommes sur le domaine de la création artistique.
Armée son courage et de son manuscrit, la sémillante et ambitieuse Jo March pénètre dans la salle de rédaction d’un journal à New-York en espérant y publier un court récit. C’est sur cette piquante entrevue entre l’héroïne et un rédacteur en chef à l’arrogance paternaliste et au pragmatisme lucide que s’ouvre le film. Il y est moins question de littérature que d’argent, dont on comprendra vite qu’il est le nerf de la guerre pour les jeunes femmes en voie d’émancipation. La réalisatrice y insuffle dès les premières minutes un rythme trépidant, comme pour refléter l’énergie et de l’allant de ses personnages. Le spectateur va suivre Jo, la plus indépendante des quatre sœurs, dans son exil new-yorkais, puis rencontrer Meg, Amy, et Beth à l’occasion du retour de Jo dans sa famille, en Nouvelle-Angleterre.
Greta Gerwig exploite à merveille les dynamiques entre personnages en jouant sur la confrontation de caractères opposés. C’est ainsi que la fabuleuse Meryl Streep prête ses traits à une tante aigrie, à l’air constamment pincé, et détonne face à une Laura Dern lumineuse dans son rôle de mère tendre et enjouée. De même, les chamailleries et les rivalités entre Jo, l’apprentie écrivaine, jeune fille intransigeante et butée interprétée par Saoirse Ronan, et sa cadette en apparence plus frivole, incarnée par la formidable Florence Pugh, contribuent à dessiner les chemins divergents empruntés par les personnages et à éclairer la profondeur du lien qui unit les deux sœurs. C’est d’ailleurs avec une immense tendresse que la réalisatrice rend la familiarité bienveillante et taquine qui caractérise les rapports entre les filles March et qu’elle dépeint leurs élans, leurs talents, leurs illusions aussi.
En faisant le choix de la rupture temporelle plutôt que de la continuité chronologique, Greta Gerwig prend quelques libertés par rapport au roman de Louisa May Alcott mais n’en trahit pas l’esprit. Au contraire, les allées et venues dans le temps contribuent non seulement à rythmer l’intrigue du film mais permettent également d’apparenter les Filles du Docteur March à la tradition du film d’apprentissage, en mesurant chez ses personnages l’écart entre leurs aspirations de jeunesse et les potentiels compromis de l’âge adulte. La dimension rétrospective du film lui confère également une tonalité mélancolique et élégiaque liée à l’irruption d’une tragédie familiale et en fait un beau conte sur la fin de l’enfance.
En dépit de son synopsis haletant, de l’exceptionnel jeu de ses actrices, et de sa superbe photographie, le film pèche cependant par sa sentimentalité, manifeste par quelques choix formels discutables. A commencer par un ou deux ralenti(s) superflu(s) et une bande-son omniprésente, qui noie constamment les dialogues sous des mélodies au piano. C’est notamment le cas dans les scènes de groupes, systématiquement abrégées par un montage pseudo-efficace visant à condenser le temps, et diluées dans une musique aux accents romantiques, ce qui donne à ces séquences une coloration très artificielle.
Il serait tout de même dommage, de se priver du plaisir de voir Les Filles du Docteur March, film léger et généreux qui vous fera à coup sûr rire et pleurer en compagnie de son irrésistible quatuor d’héroïnes.
Durée : 2h15
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