Pas de round d’observation dans cette chronique adolescente bercée par la violence et le désœuvrement, une violence physique de tout instant, un montage serré qui ne laisse pas un plan sans sa dose d’agressivité, on y est, immergé dans ce lycée islandais où se fait matraquer la tête de turc Balli, moqué, puis défiguré par un camarade de classe, une branche d’arbre assénée en pleine face. Derrière ce déchainement de haine et cette forme brutale de hooliganisme scolaire, des destins. Celui d’un groupe d’amis (Addi, Koni et Siggi) qui peu à peu intégrera Balli à sa bande, des vies heurtées par des parents absents, une réalité bien surprenante pour l’amateur de geysers et de photographie bien cadrée qui s’imagine bien naïvement la terre islandaise en terreau du civisme et de l’exemplarité. Gudmundsson filme la capitale au nom imprononçable comme Andrea Arnold filme les suburbs anglaises, décrépies et pourries par les dépendances toxicomanes et cette pauvreté qui isole, destitue tout concept de confraternité pour instaurer la solitude et l’oisiveté fataliste en seule voie du possible. Dans ce torrent d’errance, la bande des quatre suit la voie des géniteurs, se foutre sur la gueule et se morfondre peu à peu dans un fatalisme moribond. Leurs destins semblent donc écrits, des drames jusqu’à la perdition.
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Dans cette addition en surrégime de scènes à la fois de violence et d’outrages entre amis nait l’espoir d’un réveil, là où la conscience semblait en berne, un acte fera tout basculer chez Addi. Lorsque Koni, au surnom équivoque de l’Animal, pète un énième plomb à saccager un appartement et se friter avec tous ses occupants, il y a comme un interrupteur qui s’allume chez Addi. Et enfin, une alternance à la violence. Cette alternance, Addi la trouvera auprès d’une mère solaire, seule rayon de lumière dans ces (trop) longues deux heures de film qui finiront même par écœurer (on pense à cette scène de viol qui n’avait pas lieu d’être, dispersant le sens du film dans une violence démonstrative inconséquente). Cette maman, mi-mère au foyer désabusé en tenue de Pilates, mi-sorcière rendant visite à ses enfants dans leur rêve, est bien le salut à la fois du jeune Addi, mais aussi du film. Car lui offrant une toute autre dimension, spirituelle et poétique, et sa plus belle séquence lorsque la mère fait irruption dans le rêve de Addi pour le détourner d’un drame qui ne doit pas être le sien, détourner son regard perverti par des atrocités, et le ramener à la lumière ; cette apposition des mains d’une mère sur le visage de son enfant en acte fondateur et maternel de transmission, transmission d’une paix intérieure, et du droit à la concorde. Autre moment d’élévation, ce temps de pause (qui nous laisse à nous aussi spectateur le droit de souffler) lors de la prise de champignons hallucinogènes par toute la bande, un court instant d’apesanteur, répit de courte durée où les corps se touchent enfin, les sourires – certes béats, s’illuminent, une fraternité d’un instant, une communion avec les éléments (enfin la nature islandaise fait son apparition, parti pris évident de Gudmundsson qui n’a montré jusqu’alors Reykjavik que par le prisme de son milieu urbain délabré). Le réveil sera d’autant plus brutal que ce court instant extatique précèdera un ultime drame en guise de conclusion. Tirée en longueur sur toute sa dernière demi-heure, cette vengeance et l’intervention policière brouille un peu plus une conclusion brutalisée qui aurait pu là encore, être écourtée au montage.
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Malgré son origine islandaise, c’est donc tout un pan du cinéma britannique qui est convoqué (Ken Loach, Andrea Arnold, Shane Meadows, Danny Boyle) par cet ultra réalisme terre à terre et violent mais aussi son équilibre salutaire et cette injonction spirituelle qui arrive, juste à temps, à contrebalancer les gros sabots de sa mise en scène hostile. Trop long et éparpillé, « Les belles créatures » n’en reste pas moins une chronique adolescente réussie, noyée dans le la souffrance et la vengeance sociale, avec en voie de sortie, le rêve salvateur et la bienveillance maternelle, maigre imaginaire de survie dans ce tableau noirci d’une Islande comme jamais imaginée.
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