Guillaume Cailleau, Ben Russell – « Direct Action »

Après avoir été primé à la dernière Berlinale, au Cinéma du Réel et écumé de nombreux festivals, le dense Direct Action (216 minutes) de Guillaume Cailleau et Ben Russell sort ce mercredi en salles.
Ce documentaire d’art et d’essai propose de rentrer dans la ZAD, où les deux cinéastes ont posé leurs caméras entre 2022 et 2023. Soit une des plus importantes communautés d’activistes de France qui a remporté une grande bataille en 2018 : l’abandon de la construction d’un aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Qu’en est-il de cette immersion de près de quatre heures, constituée systématiquement de plans séquences essentiellement fixes tournés en 16mm ? Accueille-t-elle ou non le spectateur s’il n’est pas rôdé à la fréquentation du « cinéma direct », de festivals, biennales et friand de ce type de « geste » cinématographique ? Réponse ici.

Direct action s’ouvre sur les archives d’un des activistes de la ZAD qu’il commente hors champ. Il y a la belle idée du collectif jusqu’au bout, depuis le fonctionnement de Notre Dame des Landes jusque dans la fabrication de ce film qui va se faire en équipe avec le tandem de cinéastes et les nombreux activistes. Une invitation à entrer dans l’aspect artisanal du lieu et de ce cinéma pur et dur, lui aussi en marge. Un pacte expérimental dans tous les sens du terme, voilà qui promet. Puis, survient un long plan fixe large du phare emblématique de Notre-Dame-des-Landes. Seuls bougent les nuages. Tout doucement la caméra s’éloigne.

Copyright Shellac Distribution

En gros plan, une très jeune femme lit un texte édifiant sur les stratégies policières. Il y a celle dite des « sables mouvants » où la police pousse la personne appréhendée à mentir et à être confrontée à l’incohérence de ses mensonges. Il y a la méthode couramment utilisée en marketing et dans les techniques de vente où l’on enjoint la personne interrogée à dire oui 3 fois de suite. Il y a enfin la méthode « Je fais usage de mon droit de silence. ». Ces trois préambules sont une entrée en matière implicite des intentions des réalisateurs : camper d’abord à distance, puis pénétrer à l’intérieur de la ZAD et à la fin, au cœur des luttes contre les bassines de sainte Soline. Transmettre cette réalité par un minimum de paroles et un maximum d’images et de sons. La scène où plusieurs habitants de Notre Dame des Landes cassent un mur en temps réel à coup de marteau est assez jouissive : Break Down the walls ! Cassons les murs, décloisonnons tout ! On voit les activistes dans leur quotidien planter des légumes, préparer des crêpes pour la communauté dans l’immense cuisine, jouer aux échecs, faire de la métallurgie, enregistrer un morceau… Ils sont souvent filmés de loin, dans la pénombre ou partiellement. Les animaux eux, sont appréhendés de très près de façon animiste et c’est superbe : long plan fixe sur un cheval, premiers pas d’un veau, les moutons dans l’étables…. Las ! le dispositif commence à montrer ses limites durant la longue scène en gros plan fixe du pétrissement de la farine. Certes, l’idée est de faire plein de pain pour le collectif. Mais, assez vite, cette façon de montrer cette temporalité autre par des moyens ad hoc : « direct cinema » rencontre ici ses limites. Bien sûr que nous sommes sensibles à ce quotidien hors des sentiers battus, affranchi de l’odieuse injonction à l’immédiateté et l’hystérie de vitesse de Tik Tok et des « reels ». Mais, a-t-on besoin de montrer en temps réel des actions hors du temps pour leur restituer leur temporalité et leur authenticité ? Surtout quand ce sont des moments de vie qui ne nous passionnent déjà pas au quotidien et qu’on a compris que les ZADistes sont dans le DIY, l’autonomie et qu’on a déjà vu (et reverra) de nombreuses activités manuelles.

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Évidemment, sur le papier le dispositif est ultra séduisant et théoriquement imbattable. Paradoxalement, il s’épuise sur le plan pratique tout en montrant les pratiques du collectif. Bien sûr, ce parti pris a dû emballer les habitants de Notre Dame des Landes qui se sont vus compris et filmés dans leur entièreté. Plus problématique, il y a aussi de quoi charmer certains critiques et Festival adeptes de dispositif et de concept clés en main. Ce que certains aiment qualifier de « véritable geste de cinéma » – un documentaire de 3H36 faits de plans séquence s’inscrivant dans la durée- vire dispositif clos sur lui-même.
Direct Action pointe les limites de cette connivence entre le tandem de cinéastes et des programmateurs, critiques avertis et une poignée de cinéphiles austères: qu’en est-il d’un non initié ? À force de laisser leur caméra tourner jusqu’à ce que les activistes oublient sa présence- pari réussi- les cinéastes ont, par contre, totalement zappé le spectateur ! Bien que visionné lors d’un festival de cinéma alternatif avec un public plutôt pointu, la salle s’est vidée de 20 % en une heure et de 40 % en deux heures. Et nous étions une poignée à la fin du film. Ce qui est d’autant plus regrettable que le dernier quart est le plus fort.
Autre question que soulève le documentaire : pour que les spectateurs aient l’impression de partager cette expérience de vie exemplaire, doivent-ils avoir l’impression d’être en immersion totale comme s’ils faisaient partie des ateliers de scierie et de menuiserie ou de l’étable ? Même si la volonté des deux cinéastes est éminemment sincère et participe à nous rendre proche le quotidien fait de micros-évènements (anniversaire d’enfants, semer des graines, préparer un repas, faire la fête…) l’effet d’immersion en temps réel produit l’effet inverse ! Dommage que ce dispositif soit systématique (tautologie on est bien d’accord puisqu’il s’agit d’un dispositif) et surtout si aride. En voulant nous faire rentrer dans l’intimité du lieu, ce dispostif fait sortir plusieurs spectateurs du film. Au sens métaphorique ou physique du terme. Action directe, oui ! vider la moitié d’une salle de cinéma !

Copyright Shellac Distribution

C’est d’autant regrettable que plus le film avance plus les ZADistes s’incarnent à l’écran, filmés en plans proches. Au départ, ils étaient des silhouettes, ou vus de dos ou par fragments ou carrément par le truchement de très gros plan ; maintenant ils sont appréhendés à taille humaine. Ça tombe bien car on rentre vraiment dans le dur du sujet : l’organisation du rassemblement à Sainte Soline contre les bassines. Car le collectif écologiste radical des Soulèvements de la Terre, est né dans la ZAD en 2021. Le dernier quart du documentaire est absolument passionnant pour ceux qui ont bravé les deux premières heures d’empilement de plans séquences sans montage, ni parti pris.
On saisit l’idée des deux cinéastes de nous faire pénétrer si longuement dans un mini monde hautement humain, ouvert pour passer à un extérieur 100% claustro, hostile et agressif. La démarche est vitale, les moyens utilisés peuvent en laisser certains dubitatifs pendant une partie du film. Ainsi, votre serviteur a été captivé par la séquence à Sainte Soline où, là encore, le parti pris de filmer camions, tracteurs des activistes et voitures de flics est en temps réel. Nous avions compris la violence du déséquilibre et étions déjà attachés au collectif.
On ne peut d’empêcher de se poser la question : quid d’une version plus accessible, destinée à un public moins exigeant pour propager l’importance du message ? Les partis pris esthétiques risquent de convaincre des déjà convaincus. Alors qu’on préférerait pour paraphraser The Spiral Tribes Forward the Revolution , en touchant des agriculteurs, des anarchistes et surtout, des personnes pas forcément coutumières des documentaires d’art et d‘essai et déjà acquises à la lutte. De simples spectateurs curieux et pas déjà initiés. D’autant que le propos final de plusieurs militants est d‘une clarté limpide sur la répression policière face à la capacité d’agir et de réfuter un système capitaliste mortifère.

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A propos de Claude Atlas

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