Surgis des profondeurs de l’océan pacifique, des monstres gigantesque surnommés Kaiju (1) sèment mort et destruction sur leur passage. Afin de les affronter, des robots géants ont été construits, les Jaeger, contrôlés simultanément par deux pilotes liés par télépathie. Alors que l’humanité malmenée fait face à ce qui pourrait bien être l’apocalypse finale, Raleigh, un pilote déchu et Mako, une novice, vont faire équipe pour tenter une dernière manœuvre désespérée…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, Pacific Rim n’est pas aisé à chroniquer, tant son appréhension nécessiterait de ranger tout esprit critique, tout cynisme, nous donnant le désir de prolonger plus longtemps le regard d’enfant qu’il a déclenché en nous, telle une brèche, pendant plus de deux heures. La première réaction, la plus spontanée, celle qui écarte toute analyse, au sortir de la dernière œuvre de Guillermo Del Toro, est qu’elle fait un bien fou. Au milieu de la tendance actuelle du blockbuster à ne pas se contenter de divertir, mais à asséner des messages pessimistes, des perches politiques, des tendances apocalyptiques dominées par le réalisme post 11 septembre, Pacific Rim fait figure d’outsider à quasi tous les niveaux. Le scénario est basé sur une histoire originale, ni les personnages ni les monstres ont été vus ailleurs et le tout a été mis en boîte par Guillermo Del Toro avec une passion et une sincérité qui font plaisir à voir. A travers ce film, le réalisateur rend d’abord hommage à Ishiro Honda, le cinéaste japonais ayant « mis au monde » Godzilla et divers autres créatures comme Mothra ou Ghidorah, et ensuite à Ray Harryhausen, le grand-père du stop motion récemment décédé – deux hommes qui, à travers leurs créations, ont sûrement inspiré les rêves enfantins de Del Toro. Et de rêve d’enfant, il en est un peu question ici tant on se sent revenir en enfance devant le spectacle, yeux écarquillés et sourire jusqu’aux oreilles. Malgré tous ses défauts, Pacific Rim sera donc avant tout un grand spectacle naïf et assumé en tant que tel, celui d’un cinéaste qui s’amusait sans doute petit dans sa chambre à faire se bagarrer des robots contre des monstres, à se prendre pour un commandant de section en criant des « nous allons les détruire », « en avant » à grands coups d’onomatopées épiques et autres « boum … » , « shhrrak » et « pfhrrrrrrrrrrouuuhhh » ! Ceux qui ont des enfants comprendront, se souvenant des bruits qui émergent régulièrement de leurs portes soigneusement fermées.

Copyright Warner Bros. France

De son propre aveu, Del Toro a volontairement cherché à faire un film plus léger que ce à quoi Hollywood nous a habitués ces dernières années. On ne s’étonnera donc pas devant la simplicité du scénario, certes structuré mais dont les profondeurs n’atteignent pas celles de l’océan Pacifique non plus. Cette simplification sonne presque, comme une revendication, une ode à la liberté, au plaisir spontané, presque pulsionnel. Mais si Pacific Rim est merveilleusement enfantin, jamais infantile, il offre une invitation au voyage, voyager au-dedans de ses propres fantasmes, comme au-dedans de nous-mêmes, des rires et des cris candides qui peuplaient nos jeunes années. On y trouve de multiples clins d’œil à l’univers de James Cameron, grand copain de Del Toro, mais surtout ce qui constitue l’univers personnel du réalisateur : des personnages secondaires hauts en couleur, des petites touches humoristiques et une volonté évidente de faire plaisir à son public. Quant à l’émotion,  Del Toro la fait très judicieusement passer par les images comme l’émouvante séquence d’ouverture qui esquisse le personnage de Raleigh ou encore cette superbe séquence flashback de la petite Mako se promenant dans un Tokyo dévasté, en larmes et portant l’une de ses chaussures rouges à la main.
Judicieusement, Del Toro se refuse à mettre en avant des gueules de star pour incarner ses héros. Or, le jeu parfois très limité des acteurs – à l’image de dialogues délicieusement simplets – colle finalement parfaitement au projet d’injecter cette ingénuité juvénile, d’en faire l’essence même de son film, comme des pures projections des héros « adultes » que nous croyions incarner quand nous étions minots. Pour Raleigh Becket, Del Toro a choisi l’acteur Charlie Hunnam connu pour la série Sons of Anarchy bien qu’étant également apparu dans Retour à Cold Mountain ou encore l’excellent Les Fils de l’homme. Hunnam,  « action hero » un peu atypique, n’est pas juste un beau visage sur un corps musclé. Il injecte une certaine sensibilité à son rôle et cette fragilité nécessaire, même si, par moments, il manque un peu de conviction. A ses côtés, la jeune Rinko Kikuchi, actrice japonaise ayant reçu une nomination aux Oscars pour son rôle d’adolescente sourde et muette dans Babel. Le rôle de Mako Mori est aussi physique qu’émotionnel mais la menue Kikuchi le remplit avec beaucoup de justesse, apportant même une petite touche punk avec son air mutin, des grosses Rangers aux pieds et les mèches bleues dans ses cheveux. On aurait aimé avoir un compagnon de jeu comme elle.

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Situé quelques années dans le futur, on navigue entre villes côtières en ruines et un Hong Kong tout en décors fantaisistes et éclairages néon colorés abritant le repère de Hannibal Chau, un trafiquant d’organes et autres morceaux de Kaijus. Interprété par Ron Perlman éternellement fidèle à Del Toro, sa fonction principale est d’apporter de l’humour au film jusque dans le générique de fin ; ça n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus réussi dans Pacific Rim. Les combats titanesques entre méchas et Kaijus défient quant à eux la gravité, s’affranchissant de toute contrainte, déclinant les figures, les thèmes et les influences au sein d’une même scène dans une liberté ahurissante, entremêlant volontiers le gigantisme des kaijû eiga avec le merveilleux du cinéma de Hong Kong. Entre terre et mer, les mastodontes s’affrontent avec une puissance qui ne laisse pas grand-chose intact après leur passage et encore moins nos yeux écarquillés. Parmi les très belles idées de Pacific Rim émerge celle du contrôle par télépathie de deux pilotes enfermés dans la tête du mécha, contraints de relier leurs cerveaux et de voyager dans les souvenirs de l’autre pour combattre la créature. Avant d’être des soldats, ce sont des êtres humains avec leurs failles et faiblesses qui conduisent parfois à l’insubordination mais que serait un vrai héros sans un peu de « rebelle attitude » ? La photo quant à elle rappelle bien plus le Verhoeven de Starship Troopers voire même Robocop que celle des blockbusters récents lustrés et aseptisés adeptes d’un chaos illustré en toute propreté. Lorsque le bleu s’évanouit, la chaleur intense s’en empare, vers d’infernales teintes rougeoyantes et orangées. Les combats sont exécutés avec une précision assez impressionnante mais si on peut regretter un certain manque de lisibilité dans les gros plans. Les méchas ne sont pas encore prêts pour la casse mais sont rouillés et imparfaits, d’un autre âge. Si la plus grande partie des effets sont numériques (on notera une belle utilisation de la 3D tout à la fois impressionnante et discrète), ils ne prennent jamais le pas sur cette sensation d’un futur déjà essoufflé et vieilli et s’imposent comme parmi les plus beaux vus sur un grand écran. Et pourtant malgré l’acmé finale, loin d’être un film privilégiant l’action à tout prix, Pacific Rim fait preuve d’un sens du rythme subtil, presque suranné, ramenant à un cinéma révolu – miroir de l’âge révolu – celui auquel Del Toro ne cesse de rendre hommage.

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Devant ces Kaijus sacrément impressionnants, on se prend à rêver de ce que Guillermo Del Toro pourrait faire avec le défunt (?) projet lovecraftien, Les Montagnes Hallucinées. A la vue de ce saurien gigantesque qui déploie des ailes cthulhiennes, peut-être que Del Toro a voulu lancer un message à peine subliminal aux producteurs hollywoodiens ? Quoi qu’il en soit, ce blockbuster estival donnerait presque envie de s’entraîner pour devenir pilote Jaeger…Depuis ses débuts, et plus encore avec Le Labyrinthe de Pan, l’oeuvre de Del Toro tourne autour d’un imaginaire comme un mode de survie, une ligne de fuite contre le désespoir qui permettrait d’offrir un refuge en toute circonstance. Pacific Rim obéit plus que jamais à ce principe, et sa dimension cathartique explose littéralement. Del Toro a matérialisé son rêve, et nous l’a transmis de façon aussi cataclysmique que primitivement poétique. Et ce mouvement incessant de nous entrainer dans des souvenirs qu’on pensait définitivement enfouis. On les croit éteints, et les voici soudain ranimés, prenant forme sous nos yeux, maintenant chacun de nos sens en éveil. Prenons-le comme il vient, sachons apprécier à sa juste valeur ce cadeau rare et inespéré.
« J’ai dix ans. Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans. Laissez-moi rêver que j’ai dix ans. »
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(1) On rappelle que les Kaijû Eiga désignent les films de monstres japonais auxquels Del Toro rend hommage et dont Ishirô Honda fut l’instigateur avec Godzilla (1954). Citons parmi les plus célèbres Mothra, Rodan, Guidorah, Gamera, ou Majin…

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