L’année 2021 qui touche à son terme nous aura montrée qu’en matière d’immigration, l’Europe n’a pas fini de se couvrir de honte. Du Danemark, qui a suspendu les titres de séjour de plus de six cents réfugiés syriens et qui souhaite envoyer au Rwanda ses demandeurs d’asile, à la Grèce qui intente des procès aux humanitaires ayant participé à des opérations de sauvetage en mer, en passant par les révélations sur les refoulements illégaux de migrants par l’agence Frontex, les exemples de la faillite morale du continent sont légion et remettent en cause son prétendu attachement au respect des droits de l’Homme. Cela ne l’empêche pas pour autant – hypocrisie et bonne conscience de nos institutions – de soutenir, par le biais de son programme « Europe Créative », des œuvres audiovisuelles comme Any Day Now, qui rappelle justement que l’asile n’est pas seulement un droit pour les persécutés de ce monde mais également un devoir pour les Etats, quels qu’ils soient.
Ce premier film du réalisateur finno-iranien Hamy Ramezan revêt un caractère autobiographique puisqu’il s’inspire en partie de sa propre histoire. Alors qu’il était âgé de sept ans, sa famille a fui la guerre Iran-Irak pour émigrer en Europe et, plus précisément, en Finlande, au terme d’un parcours éprouvant qui les aura vus passer à Istanbul et à Belgrade. C’était il y a trente ans, en 1990. Aujourd’hui, le fils d’immigrés est devenu un artiste qui contribue à l’exposition du cinéma finlandais et qui a décidé, pour son premier long-métrage, de se replonger dans les premiers mois passés dans son pays d’accueil.
Le reste est de l’ordre de la fiction. L’auteur invente une famille très soudée qui vit dans un centre d’accueil, où elle doit composer avec la promiscuité des lieux, en attendant que sa demande d’asile soit examinée. Loin de s’apparenter à un plaidoyer, l’écriture se concentre sur le parcours de Ramin, l’adolescent de 13 ans qui rentre au collège. Les premières sorties avec ses amis, les premiers émois amoureux et la découverte d’un nouvel univers social sont les principaux événements de ce récit qui fait de son ancrage politique un arrière-plan omniprésent, un frein à l’insouciance de son jeune héros.
Ce procédé est annoncé dès la séquence pré-générique lors de laquelle le collégien se balade en souriant parmi un parterre de fleurs avant qu’une voix hors-champ ne vienne jeter un voile macabre sur ce paysage idyllique : « C’est pour les enterrements. » L’innocence du regard ne peut désormais être qu’éphémère puisqu’elle est constamment contrariée par la connaissance des tragédies passées et par leur potentiel retour. La suite du film s’applique à systématiser ce processus pour montrer que la menace d’un renvoi dans leur pays d’origine prive ces jeunes immigrés des privilèges de l’enfance. Plusieurs séquences reposent sur ce principe et montrent comment l’angoisse prend peu à peu le dessus sur les plaisirs simples des premiers âges. La course élancée de Ramin vers le cours d’eau ne conduit pas à un saut euphorique mais débouche sur un vomi, signe de son anxiété la plus profonde – il vient d’apprendre que la demande d’asile de ses parents a été rejetée. De la même manière, il ne peut pas partager l’amusement de ses camarades lorsque leur professeur s’absente quelques minutes car il a aperçu par la fenêtre l’arrivée des policiers et il est alors persuadé que cette sortie constitue le prélude à son exclusion de l’école. L’instant d’après, l’établissement est gagné par l’obscurité tandis que le jeune homme court dans les couloirs vides pour s’assurer que sa sœur est toujours là. Comme par contamination, l’établissement du savoir pour tous menace lui aussi de se transformer en un endroit qui rejette, où les nationalités établissent des distinctions, en dépit des liens qui s’établissent derrière les pupitres et de l’intégration révélée par les cahiers. L’école perd alors sa chaleur et sa fonction inclusive pour devenir le lieu où se mesure la solitude des plus démunis.
Mais la plus belle séquence reste sans doute l’avant-dernière, dont nous tairons le contenu, mais dont nous dirons simplement qu’elle montre, avec beaucoup d’émotion, que nombre de réfugiés sont dépossédés de leurs sentiments les plus élémentaires par des forces impersonnelles, presque invisibles, mais bien destructrices. Le récit s’écarte donc des sentiers attendus et emprunte la voie du teen movie pour mieux se laisser rattraper par la réalité, pour nous rappeler que l’adolescence ne sera finalement, pour Ramin, qu’un film à peine caressé et déjà disparu. C’est toute la réussite de ce joli long-métrage qui dessine la vie d’une famille d’Iraniens cherchant simplement à vivre dignement. En dépit de quelques faiblesses scénaristiques – les scènes dans le centre d’accueil avec les autres exilés quelque peu répétitives et qui n’apportent pas grand-chose -, Any Day Now parvient, par la modestie de son geste, à dénoncer l’injustice dont sont victimes ces êtres humains, déplacés de part et d’autre d’une Europe forteresse cloîtrée dans son égoïsme.
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