Henrik Martin Dahlsbakken- « Munch »

Étrangement, on sort de la projection de Munch avec plus de questions que de réponses sur la vie du célèbre peintre norvégien. Henrik Martin Dahlsbakken semble avoir pensé son film autour d’une contradiction : voilà un peintre star, auteur de près de 2000 toiles sur une période de plus de 60 ans, dont nous ne connaissons que très peu de choses; un peintre sur lequel peu de films ont été réalisés (Peter Watkins, Edvard Munch, 1974), dont la figure s’est effacée derrière ses toiles, au premier rang desquelles, bien sûr, Le Cri. Contradiction que le jeune réalisateur choisit de ne résoudre que très partiellement, et c’est tant mieux puisqu’il évite ainsi les écueils- ô combien nombreux- du biopic, qui bien souvent réduit une vie à un destin aux lignes claires, dessinées par quelques événements déterminants, traumatiques, et, de préférence, les deux à la fois.   

Il y a pourtant de quoi faire avec le destin de Munch, alcoolique, bipolaire, et angoissé devant l’éternel. La narration s’attarde sur quatre étapes importantes de son existence: la jeunesse en Norvège et les premières amours, contrariées, dans un cadre solaire; les années berlinoises, l’amitié avec Strindberg (interprété, sans que l’on comprenne bien pourquoi, par une femme, Lisa Carlehed), la jalousie à l’encore de Vigeland et les luttes contre l’arrière-garde; la dépression et le séjour dans une clinique à Copenhague; les derniers jours et la confiscation de ses oeuvres, jugées «dégénérées », par les Nazis. Les quatre récits s’entrecroisent, formant un puzzle plus qu’un parcours rectiligne. Les sauts d’une époque à l’autre se font de plus en plus rapides. Couleur et noir et blanc alternent, de même que les différents formats ( 4:3 ou 16:9), sans lien avec la chronologie. L’épisode danois est en noir et blanc alors que des moments plus précoces dans la vie de Munch sont en couleur. Le segment berlinois, dans lequel s’affirme le caractère disruptif d’une oeuvre, s’ancre dans la vie contemporaine.

 

 

 

En confiant chaque épisode à un scénariste différent, en ayant recours à deux directeurs de la photographie et à quatre acteurs dont une femme (Alfred Ekker Strande, Mattis Herman Nyquist, Ola G. Furusteth et Anne Krigsvoll) pour interpréter le rôle-titre, Dahlsbakken, outre qu’il met ses pas dans ceux de Todd Haynes, qui avait ainsi procédé dans son biopic sur Dylan, I’m not there (2007), fait de son film un kaléidoscope qui permet de saisir la profusion d’une oeuvre et les désordres d’une personnalité bien plus que d’en expliquer l’origine par tel ou tel événement. Ainsi les traumatismes de l’enfance -une mère et une soeur décédées- ne sont-ils que très brièvement évoqués, le film renonçant à en faire une clef heuristique par trop simpliste. 

Tout est pourtant extrêmement documenté. Par exemple, l’apparition d’un téléphone portable dans l’épisode berlinois, qui peut sembler une coquetterie, trouve sa raison dans une lettre de Munch à un ami, où il explique :«si j’avais été en possession d’un des ces petits téléphones portables qui restent à inventer, que l’on porterait dans sa poche, tu aurais depuis longtemps reçu de mes nouvelles». Le film a trouvé sa matière biographique dans une abondance de documents annexes: journaux intimes, lettres, notes, autoportraits ou selfies. Les lumières des conservateurs du musée d’Oslo, ouvert en 2021, ont été sollicitées. Mais il procure une expérience de contemplation et d’immersion bien plus qu’une savante  exégèse de l’œuvre . On en ressort peut-être un peu frustré, mais curieux. 

L’hétérogénéité du film et de l’interprétation fait que l’on peut être plus ou moins séduit par chacun des épisodes. Pour ma part, seul le le segment norvégien m’a vraiment emportée. Il montre le jeune Munch s’ouvrant aux paysages et à l’amour. Baigné dans une lumière solaire, il rend hommage aux œuvres les moins connues, mais peut-être les plus vibrantes du peintre.

Chaque période est construite autour de toiles qui viennent en former le décor: on n’explique pas tant leur genèse qu’on ne nous immerge dans leur lumière et leur texture. La belle fin montre les visiteurs du musée Munch à Oslo regarder les peintures, dont l’on comprend alors seulement, à moins d’être un spécialiste de l’œuvre du peintre, qu’elles ont formé le cadre visuel et sensoriel des différents épisodes et déterminé leurs oppositions plastiques. Hommage est ainsi rendu au génie prolifique, versatile et toujours en évolution du créateur. Presque jamais Munch n’est montré au travail: il ne s’agit pas de s’attarder sur les affres de la création, dans un geste post-romantique convenu. À peine voit-on le peintre griffonner l’esquisse du Cri au sol, sans que la genèse n’en soit explicitement sondée. Dans ses meilleurs moments, Munch nous place dans la position du spectateur admiratif et innocent. Le film est inégal, parfois agaçant (certaines scènes du début m’ont fait craindre le pire), mais il a cette grande qualité de tenter, sans académisme, de nous faire entrer en résonance avec la richesse d’une œuvre plus que d’exposer les petites ou grandes misères de l’ existence d’un artiste déchiré au tournant du vingtième siècle. 

 

 

sortie le 20 décembre en salle

Couleur et Noir et blanc

1h 45min

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A propos de Noëlle Gires

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