Hernán Rosselli – « Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté »

En entremêlant fiction et documentaire, en utilisant de vraies archives comme un outil de fiction grâce au vertige du montage, le cinéaste argentin Hernán Rosselli ne reconstitue pas une histoire véridique, mais s’en sert comme un pur outil de fiction, comme si désormais les images ne racontaient plus ce qu’elles sont. Variation expérimentale autour du found footage, faite de fragments épars, cet objet très singulier qu’est Quelque chose de vieux, quelque chose de neuf, quelque chose d’emprunté conceptualise une forme manipulation du réel pour le mener dans l’imaginaire, comme une fabrique du mensonge. Et consacre avant tout le cinéma comme un art du montage.

https://fr.web.img6.acsta.net/r_1920_1080/img/5b/ba/5bba12224668638e50fdf3d8a9e5fe62.jpg

Copyright Les Alchimistes

En l’abordant sans repère, le film évidemment déroute. Par cette curieuse alliance d’archives, de vidéos de caméras de surveillance et de plans plus directement fictionnels soutenus notamment par un découpage qui isole régulièrement chaque personnage, le film semble s’attacher au fonctionnement d’une entreprise illégale de paris centré autour de Maribel (Mirabel Felpeto) et sa mère (Alejendra Cánepa). La seule indication est cette liste en guise de titre, une énigme programmatique pour celui ou celle qui ignore son origine, une comptine associée au costume d’une mariée, prononcée au cours du film. Durant les premières minutes, ce titre nous souffle l’idée d’un passé (le vivant du père, Hugo Felpeto, en archive), d’un présent (ses héritières, sa femme et sa fille). L’emprunt, lui, fait le lien entre ces deux périodes, héritage du petit empire d’Hugo légué à sa femme et sa fille. La formule superstitieuse favorise le bon sort. Mais que leur a t-il légué? Déjà des souvenirs, nombreux et envahissants, des vidéos, emprunt du vrai Hugo, faux brigand, vrai père de Maribel. Il faut se résigner à se renseigner après sur cette communauté pour démêler le vrai du faux. L’affabulation de ce dispositif frauduleux commence au larcin. Hugo n’est pas un bandit, les deux femmes qui lui succèdent non plus. La réalité matérielle de cette fantaisie est une accumulation de signes dans le présent de la narration, la circulation de billets, l’entrée de chiffres dans un logiciel de paris, les écrans de contrôles qui décorent le pavillon forteresse, part fictionnelle qui influe sur le sens du reste des images.

https://fr.web.img2.acsta.net/r_1920_1080/img/74/55/745575fb996b3c6cf5a5fbf5ba2de62f.jpg

Copyright Les Alchimistes

Profitant de son ambiguë rapport au réel, Quelque chose… s’intéresse à ce petit milieu de recel dont les participants se retrouvent autour d’une table de jardin pour partager un barbecue ou dans une piscine gonflable bleu à ras-du-sol. La rue de la banlieue de Buenos Aires dans laquelle habite la famille Felpeto est humblement appelée par Hugo «cul de sac», d’après le témoignage de Maribel. Rien ne différencie cette vie de celle de la classe populaire argentine, spécifiquement car elle n’a rien de différent. Cet ajout de clandestinité par la voix off, le collage d’enregistrements policiers, imbibe de suspicion la trivialité des plans joliment filmés par Hugo. On ouvre l’œil, puisqu’il n’y a précisément rien d’illicite dans ces images.

La chronique familiale alterne avec l’enquête autour d’une double vie, un trouble identitaire de plus, accumulant les témoignages et les sources au risque de brouiller un plus les repères en accumulant les médiums visuels.

https://fr.web.img4.acsta.net/r_1920_1080/img/2c/3b/2c3b99e4d6fdb28413e4c5984fc6c0a7.jpg

Copyright Les Alchimistes

Avec la caméra de surveillance, instrument passif d’enregistrement, Maribel se constitue une mémoire. La froideur de l’enregistrement vidéo des appareils de surveillance interrompt l’investissement émotionnel engagé par les archives, la voix over. Au contraire, les enregistrements audios policiers qui épient la dictée de chiffres entre le père bookmaker et sa fille se détachent de l’enquête, apparaissant seulement en off, sans rapport direct avec la narration, comme le lointain écho d’une complicité et d’une filiation. De cette dictée, Maribel tire un don qui est détourné de son but initial, le rendant improductif. Plutôt que les chiffres, elle préfère les phrases dont elle fait le décompte des lettres. C’est dans ces interstices que le montage d’Hernán Rosselli, se saisissant de matières produites par autrui, fonctionne le mieux.

En écho avec cette filiation vient en tête le court métrage de Noah Cohen, Last call. Lui aussi est le fils d’un (vrai) malfrat financier. Plus rocambolesque, ce home movie de fin d’étude se compose en partie de photographies et se penche sur l’épopée d’un escroc financier en cavale tentant de rejoindre sa famille dans de nombreux pays. Quelque chose d’emprunté ne peut plus être rendu. La filiation est aussi basée sur une absence. Le film de Cohen est attentif aux lieux traversés, aux conditions de vie de lui et sa mère et à leur dégringolade sociale. Le plan final dans un PMU renoue avec les classes paradoxalement populaires du film de Herman Rosseli. On ne se refait pas.

© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).

A propos de Hugo GOBY

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.