» Il y a toute la vie, c’est-à dire l’incertitude du peut-être, mais aussi le geste soulevé, soulevant , de rendre possible quelque chose et d’inventer alors ce qui peut être ». Didi-Huberman
À la clarté d’une mise en scène qui tend à priori à effacer toute ombre, tout accident ou imprévu, dans sa lumière , Hong Sang-soo adjoint une incertitude . Là se tiennent les vacillements de l’émotion d’un cinéma de plus en plus profond derrière une apparence d’une déroutante simplicité.
©Arizona distribution
Junhee ( Hye-yeong Lee), une romancière de renom, rend visite à une amie libraire perdue de vue. En déambulant dans le quartier, elle croise la route d’un réalisateur et de son épouse. Une rencontre en amenant une autre, Junhee fait la connaissance de Kilsoo ( Kim Min-hee), une jeune actrice à qui elle propose de faire un film ensemble. Si La romancière, le film et le heureux hasard, questionne avec légèreté et profondeur mêlées la perte du désir d’un artiste, le film de Hong Sangsoo célèbre tout autant en quoi ce désir peut se réaffirmer au milieu de l’ordinaire grâce à des rencontres aussi fortuites que décisives.Lorsque Junhee revoit Sewon, ses mots comme ses silences expriment à quel point le temps l’a remis à sa place. Elle avoue manquer d’inspiration par manque de désir . Pourtant une simple phrase en langue des signes célébrant la beauté de la vie quotidienne que Junhee apprend , répète et répète encore vient alors ouvrir une brèche . Il s’agit de « ne pas (courir) après la poésie, elle pénètre toute seule par les jointures »( 1) et cette phrase prend miraculeusement la forme d’un haïku. Une deuxième rencontre se fait alors, elle plus frontale puisqu’elle se déroule au coeur de Séoul, au moment où Junhee tombe sur le réalisateur Hyojin et sa femme. Ils décident de prendre un café et évoquent alors leur présent mais aussi le passé qui les lie. Hyojin , qui ne parle que de son succès, réduit la création à une réussite lucrative quand Junhee elle y voyait l’accomplissement d’un désir, ce qui explique d’ailleurs qu’il ait refusé d’adapter, il y a des années, l’un de ses romans .
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Ils partent se balader puis rencontrent au hasard une actrice qui a quitté ces derniers temps le devant de la scène. Heureux hasard : cet « art de la fugue » dans leur vie respective qui unit Junhee et Kilsoo- la romancière n’écrit plus quand l’actrice ne joue plus- va les réunir et ensemble elles vont retrouver goût à la création.
C’est alors là , « juste sous nos yeux » , des fleurs, un bouquet qui se compose en couleurs , un visage qui irradie et une déclaration d’amour.
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La romancière, le film et le heureux hasard rappelle délicatement à travers ce jeu d’entrelacs que si la frontière entre l’art et la vie est poreuse, « il y a des moments où une sorte de beauté naît de la multiplicité des ennuis qui nous assaillent » (2) et les rencontres nous rendent à nous-mêmes.
(1): Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Paris, Gallimard, 1975.
(2): Proust, À la recherche du temps perdu, Albertine disparue, Paris, Gallimard, 1925.
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