Hong Sang-soo – "The day he arrives -Matins calmes à Séoul"

Plus le cinéma d’Hong Sang-soo avance, plus il semble trouver confiance en sa forme propre, quitte à s’éloigner de plus en plus des standards de narration et de production. Comme si des scénarios plus spontanés, et des productions nettement plus limitées, lui permettaient de s’épanouir vraiment.
 L’évolution est très nette entre deux « journées », du point de départ à cette « arrivée » qui n’en est pas une. Le jour où le cochon est tombé dans le puits, son premier film, était encore une œuvre sous influence, où était cités pèle mêle Bresson et Buñuel, tandis que la critique internationale semble pouvoir raccrocher l’ensemble à une production de cinéma asiatique contemporaine d’une nature plus contemplative et minimaliste. Mais au fur et à mesure, les moyens traditionnels d’écriture et de préparation ont été abandonnés. Dés Turning Gate, un synopsis de 20 à 30 pages servait de base pour tout nouveau projet tandis que le réalisateur écrivait le matin même le scénario détaillé correspondant à la journée de prise de vue. Tourné avec des étudiants, Oki’s Movie allait plus loin, puisque Hong y sacrifiait désormais ce premier jet pour de simples notes et un scénario écrit au fil de l’eau (et si au passage on découvre que la matière est insuffisante, c’est le basculement pur et simple dans le « film à sketch »).
The day he arrives, et le prochain film du metteur en scène In another country, ont été aussi bâtis sur ce qui est désormais véritablement une troisième méthode de travail. Sera-t-elle sa dernière ? Progressivement, Hong Sang-soo a cherché à se dépouiller de tout ce qui pourrait relever de l’influence formelle ou narrative : ici l’idée est de permettre à plusieurs éléments éparses de s’assembler par une structure qui se révèle foncièrement à elle même, plutôt qu’en étant pensée en amont par l’artiste lui-même. Amoureux des notes de journaux intime, ou des cartes heuristiques, Hong semble progressivement chercher à créer un cinéma au travers de cette matière même, qu’on pourrait qualifier presque d’un cinéma de serendipité. En même temps, cet attrait passe par une confrontation directe au quotidien qui n’est pas esquivée:  la répétition et l’imitation ne sont plus seulement des thématiques chez l’auteur, mais un motif de base dont la perspective de dépassement est la créativité même.
Hong n’a pas de système fixe à prêcher, et c’est pour cela que The day he arrives est passionnant, car au contraire du travail de l’auteur, il y met clairement en scène un personnage principal qui cherche à contrôler sa vie, suivant des préceptes proches de ce que Hong Sang-soo explore lui-même;  à la différence peut-être qu’il les expose avec un certain nombre de certitudes qui peuvent le faire tomber dans les pièges qu’il dénonce. A la différence d’Hong Sang-soo, ce double de cinéma a une approche probablement plus décidée (et illusoire ?) sur sa vie, et évoque clairement les existentialistes (la découverte de Sartre et Gide a joué beaucoup dans la construction intellectuelle d’Hong Sangs-soo).
Si généralement, le héros subit chez Hong les revers de la réalité par certaines scènes de gênes dont le cinéaste a le secret, il laisse souvent le spectateur comme seul juge des agissements d’un être fonctionnant un peu en « Théorème » (du nom du film de Pasolini qui a ouvert comme un sous genre de l' »individu de passage ») dans ses rencontres, faisant du pur hasard un objet d’absolu, et de l’instant ce qui est à sublimer..  sans se douter qu’il peut parfois faire souffrir autrui,  tourner parfois simplement en rond ou fuir plus que créer. Ce qui est « magique » ici étant d’être dans un espace de cinéma permettant à chaque spectateur d’avoir tout à la fois leurs analyses personnelles sur les comportements, sans a prioris, tout en étant fasciné souvent par les propos et la philosophie même du protagoniste, et la nature que prend l’environnement où il évolue. Hurlant et fuyant des étudiants qu’il accuse de l’imiter, le cinéaste en stand-by Seong-joon est pourtant sans doute lui-même aussi le jouet des répétitions et de l’aléatoire qu’il cherche à normaliser, quand il croise une femme qu’il associe à une autre, ou quand il retrouve un acteur qu’il a peut-être un peu lâchement abandonné.
The day he arrives, plus abordable et linéaire que l’éclatement à l’œuvre dans Oki’s Movie, se pare aussi d’un fonctionnement plus borné dans certaines répétition, si bien que le cinéma de l’auteur évoquerait presque la simplicité de quelques Harold Ramis de la grande époque, quand une personne est croisée trois fois dans la rue, ou lorsque de même lieux méconnus de Séoul, recoins à la limites du Twilight Zone parfois, sont réinvestis. On a une fibre de comédie et de légéreté qui renoue aussi avec l’excellent Like you know it all. Le noir et blanc exécuté en post-production agit en prime comme une couche de douceur et d’épure supplémentaire, qui équilibre peut-être les différents tiraillements presque atomistes, moins crument exposés que dans Oki’s Movie.
Il en résulte un film que certains admirateurs trouveront peut-être trop doucereux et mineur dans cette filmographie, tandis que d’autres pourront aisément être fascinés par l’état de grâce qu’atteint ici un langage de cinéma singulier qu’on n’a pas fini d’explorer. Les éléments de spontanéités encore une fois font tout leur effet dans cette appréciation, comme l’intégration des couvre-feu à l’oeuvre en Corée, ou lors de cette dernière séquence où Seong-joon traverse les rues en rencontrant plusieurs individus plus ou moins connus de son passé, pour finir sur une apparition subliment amenée de Ko-Hyeon jeong, actrice principale de Woman on the Beach.
Rythmé par trois manifestation d’un thème une fois de plus très entêtant de Jeong Yong-jin, The day he arrives montre aussi un cinéaste qui continue de se montrer extrêmement libre dans ses cadrages, ses choix en matière de hors champs, dans ces détails insolites mis en valeurs… toute une gestion de l’espace toujours aussi fascinante, investie par des zooms de plus en plus affinés. Les figures des couples qui se font et se défont (ou n’osent pas) se révèlent eux aussi très différents d’œuvres en œuvres, comme si les problèmes de fond pouvaient être les mêmes mais leurs concrétisations toujours différentes. Une infinité de possibles créatifs où ce qui est sans doute un peu trop simplement définissable par le seul terme de « variation » s’est aussi libéré des dispositions géométriques d’un Ozu par exemple, où de l’obsession littéraire et picturale d’un Rohmer auquel encore une fois Hong est sans doute excessivement associé.

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A propos de Guillaume BRYON-CARAËS

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