De toute évidence, les sports de glace, et plus encore le hockey, ont été peu traités au cinéma. C’est pourtant à ce défi auquel s’attaque vaillamment Hugues Hariche avec Rivière. A travers le prisme du sport, le réalisateur aborde de nombreux thèmes liés à l’adolescence: la quête d’identité, les traumas, la dépendance, le suicide et bien sûr… l’amour. Si une mère acquiert son statut auprès d’un enfant de manière évidente, par «nature», celle-ci étant supposée porter le bébé dans son corps; c’est moins le cas du père, qui est socialement désigné par la transmission de son nom, légalement l’usage dans notre société, quelle que soit sa place effective auprès de l’enfant. Campée par une magnifique et prometteuse Flavie Delangle, Manon débarque de Suisse à Belfort dans l’espoir d’y retrouver ce père. Elle arrive en premier lieu dans la patinoire, où elle va rencontrer à la place Karine (Sarah Bramms), laquelle campe une patineuse jeune et douée, mais confrontée aux blessures et à l’échec.
Puis elle poursuit sa quête jusqu’à une ferme, dans laquelle elle trouve une belle-mère – jouée par Camille Rutherford, laquelle deviendra un adulte de référence, si ce n’est une mère de substitution – et un petit frère, mais toujours pas de papa. Pour convoquer ce fantôme et le faire apparaître, le hockey semble être le moyen idéal, comme une passerelle entre ses deux êtres. En jouant au hockey, au moins à l’égal des garçons, c’est le regard paternel que Manon recherche, et le maillot qu’elle porte constitue un enjeu bien plus profond qu’un patronyme. Car Rivière est avant tout son nom, celui de cette jeune fille à la recherche de ce père fantomatique. Quelques photos et un nom floqué fièrement au dos du maillot, ce serait finalement le seul héritage que Manon aurait de son géniteur.
Si du temps est passé depuis Slap shot, avec Paul Newman en apôtre des bagarres et de la provocation, dans une représentation outrageusement virile pour ne pas dire masculiniste (sur laquelle repose la dimension comique du film) du hockey-sur-glace, ce sport n’en reste pas moins un condensé d’adrénaline et de violence. Même si la filière se développe pour les équipes féminines en France (à un niveau encore amateur), comme en Amérique du Nord (avec la création d’une grande ligue professionnelle récemment), dans l’imaginaire collectif, le hockey c’est la NHL et ses bastons spectaculaires.
Ce jeu est donc encore perçu comme un sport de mecs, joué par des mecs.
Le réalisateur Hugues Hariche campe donc une adolescente, en rupture, fugueuse, perdue, traumatisée… Son équipement de hockeyeuse fait figure de carapace. Ainsi, elle répond parfaitement à ces injonctions réputées virilistes: répondre aux provocations et aligner les mises en échec sonores contre la balustrade. Il est par ailleurs intéressant de noter que le hockey sert aussi un propos similaire sur le sujet de la gestion des émotions dans le récent film d’animation Vice et Versa 2. Là aussi, il s’agit d’une héroïne et les fameuses deux minutes de prison se révèlent symptôme des difficultés pour elles à canaliser leur anxiété. Manon a donc bien intégré tous les aspects supposément virils de son sport, d’autant qu’elle évolue dans une équipe effectivement masculine. Elle domine tout le monde sur la glace, sans forcer son talent. Son seul frein est bien psychologique, et la représentation de cette trajectoire à l’écran se révèle très enthousiasmante. Les scènes de match ou d’entraînement relèvent du tour de force – l’air de rien – comme l’avait fait Jean-Jacques Annaud en son temps avec son superbe Coup de Tête.Son seul enjeu finalement ne concerne qu’elle-même, et sa capacité à s’émanciper véritablement de ce fantôme impalpable, toujours inexistant. A contrario, l’amie de Manon, Karine, pratique le patinage artistique, sport généralement associé aux tenues légères couvrant à peine les corps sculptés de filles à peine sorties de l’adolescence, avec son cortège d’exigences, entre autres celle du sourire contraint à la grâce, ou vis-à-vis de la représentation d’une quintessence fantasmée de la féminité.
Le parcours de Karine est classique, celui d’une enfant qui a sans cesse répondu aux exigences de son entourage et de ses parents, et qui se retrouve dévastée lorsque sa confiance est perdue. Hariche veut ici montrer trop de choses avec ce duo yin-yang des contraires qui s’attirent, à la manière d’un manuel à l’usage des ados sur les dangers de la drogue. Le rapport aux addictions, les tentations suicidaires, les scarifications, la découverte de sa sexualité, l’auto-sabotage… Cela fait, somme toute, beaucoup de sujets abordés, sans qu’il ne soit vraiment possible de s’écarter d’inévitables clichés qui alourdissent un peu le propos. Restent de beaux personnages (le meilleur pote ou le coach notamment) et des passages touchants (la relation avec la belle-mère est par exemple très réussie), de superbes séquences dans lesquelles la jeunesse s’exprime, notamment par les corps sur la glace. Si le film n’évite pas quelques maladresses, à vouloir forcer ses tirs comme lorsqu’une équipe domine sans parvenir à s’imposer, Rivière enchante par instant, lorsque le film regarde Manon grandir et s’émanciper.
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