Les 15 premières minutes, à la structure narrative sèche, presque elliptique, peuvent déconcerter les spectateurs qui n’ont pas en tête les évènements historiques relatés mais l’élégance de la forme, délestée d’effets tape-à-l’œil, augure le meilleur. Les repentis s’ouvre par une scène choc, l’assassinat du politicien Juan María Jáuregui, par les séparatistes basques, membres de l’ETA en 2000.  Cet ancien préfet laisse une fille de 19 ans et une femme Maixabel Lasa, dont le film relate une partie de son histoire. Onze ans plus tard, elle reçoit une demande inhabituelle et déstabilisante. L’un des auteurs du crime demande à lui parler dans la prison de Nanclares de la Oca, où il purge sa peine de prison. Malgré son scepticisme et sa douleur, elle accepte de rencontrer le prisonnier, Luis, première étape avant de se confronter avec l’assassin de son mari Ibon Etxezarreta. Tous deux ont par ailleurs rompu le moindre lien avec le parcours terroriste.

Les Repentis: Luis
        Tosar

Pour son huitième long métrage, l’ancienne actrice Icíar Bollaín, aperçu dans Le Sud de Victor Erice, retrouve Luis Llosar qu’elle avait précédemment dirigé dans Même la pluie, douze ans auparavant. En ex terroriste, marqué par le remord et la honte, il compose un personnage émouvant faisant face à Bianca Portillo, magnifique en veuve prête à pardonner l’impardonnable, comédienne remarquée à plusieurs reprises chez Pedro Almodovar. Tous les autres acteurs sont remarquablement dirigés, habités par une authenticité criante. Cette sensation, qui n’est pas à proprement parler consubstantiel à un style naturaliste, s’explique par les conditions de tournage et surtout le travail monumental organisé en amont par Icíar Bollaín et sa scénariste Isa Campo, à l’origine du projet. Elles ont approché la vraie Maixabel et sa fille et elles ont aussi fait des recherches sur les activistes, ces hommes ont rejoint la lutte armée pour l’indépendance du Pays basque, s’intéressant plus particulièrement aux dissidents.

Ce drame à caractère historique et introspectif, mêlant l’intime et le collectif, tout entier dédié à la libération de la parole, raconte cette rencontre, cette improbable réconciliation entre bourreau et victime sans que le film n’évoque le syndrome de Stockholm. Le temps est à la paix, au besoin de refermer les plaies et les blessures d’un pays traumatisé par les attentats à répétition d’une organisation révolutionnaire, motivée au départ par des idées défendables d’inspiration marxiste-leniniste. Mais entre l’engagement et l’embrigadement la frontière est mince. De braves gens peuvent devenir d’impitoyables tueurs au nom des plus belles idées. Les longs dialogues sont articulés comme des exutoires nécessaires prenant la forme de confessions douloureuses et nécessaires. Icíar Bollaín est à deux doigts de sombrer dans le pathos mais l’évite de justesse grâce à sa mise en scène, glacée et raffinée. Le soin apporté aux cadrages privilégiant les plans fixes à la sobriété exemplaire et la très belle photographie dominée par des couleurs douces de Javier Aguire, apportent la juste distance émotionnelle de ce beau film dossier, pudique et sérieux, très documenté sans oublier de faire du cinéma.

Les Repentis

La violente séquence inaugurale n’est pas anodine, elle installe d’emblée l’innommable pour mieux tisser les enjeux du film, à savoir, comment vivre avec l’acte de mort, en saisir la substance pour mieux faire son deuil, comment le temps doit agir entre les victimes et les bourreaux. Est-il possible d’abandonner les ténèbres pour aller vers la lumière ? Les Repentis exploite l’idée non pas d’humaniser les bourreaux, mais d’extirper l’homme du pantin, de réfléchir à l’instrumentalisation des terroristes pour éventuellement saisir leur propre douleur et esquisser l’idée d’un pardon. C’est un sujet difficile, s’exposant à toutes les critiques possibles, mais la délicatesse du traitement, la parfaite distance choisie par la cinéaste – sans jamais céder au moindre pathos – provoque une émotion et une empathie universelle, ainsi que notre propre questionnement moral. Le parcours individuel, le long cheminement de Maixabel , devant faire face au regard des autres, à leur jugement est évidemment pour beaucoup dans l’adhésion du spectateur. Les Repentis épouse des points de vue radicalement opposés sans jamais porter un jugement moral et/ou idéologique. L’ampleur romanesque d’un récit riche en personnages fascinants élève le film au-dessus de sa dimension programmatique et superficielle de la rencontre entre la femme du politicien et Ibon. Il n’en demeure que même si cet aspect artificiel peut irriter, l’émotion qui se dégage lors de ses échanges est très intense, serrant la gorge grâce à ses plans très travaillés sur les visages et ses dialogues très écrits dont chaque mot semble avoir été soigneusement soupesé. La cinéaste refuse le manichéisme en multipliant les interactions entre les personnages aux positions contradictoires, interrogeant par là le spectateur, sans lui imposer une lecture confortable du « prêt à penser » si courant dans le cinéma militant. Il est tout aussi compréhensif que les amies et la famille de Maixabel ne puissent pardonner les actes horribles commis par le passé, tout comme les détenus passent pour des traitres aux yeux de l’ETA qui finira rappelons par se dissoudre en 2011.

Les Repentis

Rappelant parfois l’approche la plus attentive des Ken Loach les moins didactiques, Les Repentis s’avère une œuvre délicate, apaisée et intelligente qui déploie une vision du monde universel, faisant par ailleurs écho aux attentats de 2015.

 

 

 

 

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