Après la sortie d’un film sur Rudolf Noureev en juin, celle de Yuli en juillet retrace la vie du cubain Carlos Acosta, autre danseur de génie à la trajectoire exceptionnelle. La manière dont l’un et l’autre sont parvenus à s’extirper de leur milieu d’origine pour obtenir une reconnaissance internationale invite à la comparaison. C’est aussi leur tempérament frondeur et leur refus de la discipline, surprenant chez des danseurs de ballet, qui autorise ce rapprochement. Yuli se démarque toutefois du film de Ralph Fiennes en ce qu’il dépeint le destin particulier du premier danseur noir à réussir à se hisser au plus haut, à se faire un nom dans un milieu exclusivement blanc.
La réalisatrice s’attarde sur l’enfance de Carlos Acosta, marquée par le dénuement et dominée par une figure paternelle tout à la fois attachante et menaçante. Le père du jeune garçon qui sait que son fils est « né pour danser », force ce dernier à suivre les cours d’une institution prestigieuse de La Havane, alors que le petit Carlos rêve de passer ses journées à jouer au foot avec les gamins de son quartier. Multipliant les fugues, le garçon vit son apprentissage comme une contrainte insupportable, jusqu’au jour où médusé, il assiste à un solo de danse classique, interprété en pleine jungle sous la pluie par un jeune compatriote. Cette séquence spectaculaire teintée d’onirisme est certainement une des plus époustouflantes de ce film à la facture plutôt classique.
Voilà peut-être l’un des reproches que l’on pourrait faire au film d’Icíar Bollaín, dont la mise en scène est assez convenue et la bande-son parfois un peu larmoyante. Yuli échappe cependant à la platitude du biopic par les longues séquences dansées. Celles-ci viennent casser la logique chronologique et proposent une réinterprétation au présent du passé par la chorégraphie. On y voit Carlos Acosta lui-même danser en solo ou en duo, comme pour exorciser les souvenirs douloureux et les blessures par la danse. C’est la belle idée du film, celle de proposer des jeux d’écho entre des épisodes diégétiques et des scènes de danse dans lesquelles l’interprète rejoue le passé, le reconfigure pour tuer ses vieux démons.
Le film vaut aussi pour la manière dont il parvient avec justesse et mélancolie à traiter la question de l’exil. Danseur étoile de premier rang, Carlos Acosta est amené à travailler en Italie, au Royaume-Uni, aux États-Unis. Pourtant, quand il s’autorise à rentrer à Cuba, il confesse à ses amis incrédules « être le seul Cubain à vouloir rester ici ». Icíar Bollaín nous donne ainsi à voir un héros rongé par la nostalgie, déchiré entre l’amour pour les siens et le devoir de réussir au nom d’enjeux qui le dépassent.
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