Après trois longs métrages (Atlántida, 2014 ; Julia y el Zorro, 2018 ; Lxs chxcas de las motitos, 2020), la cinéaste argentine Inés María Barrionuevo réalise Camila sortira ce soir, à mi-chemin entre le teen movie et le cinéma politique, dans une image à l’esthétique limpide et lumineuse, où monochromes, jeux de contrastes et agencement nuancé de couleurs y magnifient la fluidité du propos engagé. Camila a 17 ans et vit à Buenos Aires avec sa mère et sa sœur, dans la maison de leur grand-mère. Lorsque que cette dernière tombe malade, Camila doit poursuivre sa scolarité dans un lycée traditionaliste, contraire à ses propres valeurs politiques. Elle se retrouve alors confrontée à un monde auquel elle n’appartient pas, et tente de construire son identité au travers d’expériences aussi bien réjouissantes que douloureuses. Sous la forme d’un conte d’émancipation, la réalisatrice aborde des thématiques autour du patriarcat et de l’institution religieuse, en y faisant évoluer son héroïne pour comprendre les mécanismes de révolte. Bien que teinté d’une certaine mélancolie, Camila sortira ce soir ne manque pas de susciter l’espoir et un côté assez réjouissant, notamment par un étoffement méticuleux de ses personnages, dont le caractère dévoile un éventail de nuances et de zones d’ombres.

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S’ouvrant sur une scène de fuite, plusieurs adolescents échappant aux sirènes de police, Inés María Barrionuevo annonce d’emblée le ton de la dissidence. La lumière du soleil déclinant transparait au-dessus des arbres, qui se dessinent en un arrière-plan flouté. La caméra fixe alors le groupe, de dos, courant, escaladant un mur, s’exclamant « Je déteste la police ! », et reprenant leur souffle entre deux éclats de rire. Il se dégage de cette séquence d’ouverture beaucoup de liberté et de joie, dans une expression très précise de l’adrénaline. Camila, la jeune protagoniste, est à l’âge du parfait équilibre entre dépendance et indépendance. En arrivant dans son nouveau lycée, un cadre strict et conservateur s’érige dès son arrivée, lorsqu’elle doit confier une grande partie de ses affaires —tout ce qui pourrait être jugé comme compromettant quant aux valeurs traditionalistes de l’établissement. Voyant qu’elle porte un foulard vert, symbole du combat pour le droit à l’avortement en Argentine, le directeur lui impose de s’en dévêtir avant d’énoncer : « L’école n’encourage pas d’idéologies politiques ». Les élèves portent un uniforme, et le premier cours auquel Camila assiste aborde la notion d’ « éthique morale ».

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Lorsqu’elle parcourt l’école, ses camarades composent un arrière-plan homogène, faisant penser à des figurants, comme si Camila avait intégré un théâtre pour lequel elle n’avait pas retenu son rôle. Mais bien vite, elle parvient tout de même à tisser des liens avec quelques camarades et découvre un autre monde, avec lequel elle est familière, et sous-jacent à cet établissement traditionaliste : celui de la lutte sociale. D’abord victime de brimades imposant une certaine vision de la féminité —« Tu devrais te maquiller » par certaines le jour, Camila rencontre des allié-es la nuit, lors des soirées. Son cheminement introspectif et politique gagne en précision au fur et à mesure de ses discussions avec ses nouveaux amis, inscrivant Camila sortira ce soir dans la sphère du conte d’apprentissage, qui expérimente alors à proprement parler la rupture entre son esprit libre et sa confrontation avec l’environnement carcéral —ici, le lycée. Faisant jouer les structures limitantes, le désir de rébellion, et les découvertes amoureuses, Inés María Barrionuevo produit un récit d’émancipation tout en nuances. D’ailleurs, Camila tombe peu à peu amoureuse d’une de ses camarades, à qui elle finit par demander : « Tu n’as pas l’impression d’être deux personnes ? », faisant référence à « celle qui fume, qui est pour légaliser l’avortement » et celle qui fait profil bas au sein du lycée. L’articulation des contrastes, autant que la complexité des personnages, qui ne montrent pas de signe manichéen, fait de Camila sortira ce soir une fable d’émancipation autour de la révolte politique et de comment se délester des systèmes liberticides.

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Si l’esprit de révolte imprègne le film de Inés María Barrionuevo, c’est surtout des thématiques d’actualité féministes comme la lutte pour le droit à l’avortement, les droits queer, et le combat contre les agressions sexuelles, qui apparaissent au premier plan. Et la scène finale, brillante par son caractère d’aboutissement de la lutte, permet de réaffirmer le propos en filigrane de Camila sortira ce soir : « Mon corps, mon choix ».

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A propos de Eléonore VIGIER

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