Adapté du livre éponyme de Sara Mesa, Un amor propose une forme singulière de libération. Natalia (Laia Costa), après avoir quitté la ville, trouve refuge dans un village isolé au cœur de l’Espagne rurale. Aucun romantisme ici. Tout est rude et âpre. Des murs fissurés de sa maison aux meubles souillés ,des montagnes menaçantes aux arbres morts qui jalonnent le village , cette nouvelle « terre » n’est pas accueillante. La palette chromatique, dominée par des tons froids et ternes – gris, bleu pâle, vert délavé – accentue un sentiment d’oppression. Ces couleurs semblent refléter l’atmosphère du lieu, mais aussi l’état émotionnel de Natalia, dont l’âme semble se dissoudre dans ce paysage dévasté.
©Arizona distribution
Dès son arrivée, Natalia se heurte à la méfiance de ses voisins et à la grossièreté des hommes. Ici, les femmes vivent sous l’emprise d’un système patriarcal rigide. Ses interactions avec ceux de son entourage renforcent cette impression : en champ contrechamp, la caméra ne cesse de revenir sur elle, accentuant son isolement et l’implacable impuissance qui se dégage face à leur domination.
Et pourtant, au cœur de ce tumulte, de rares moments de quiétude se dévoilent. Sa voisine malade, empreinte de compassion, et son chien hermaphrodite, marqué par des cicatrices et rejeté par tous, lui offrent une lueur de réconfort dans son quotidien. Bien que fragiles, ces liens sont tout ce qui l’empêche de sombrer totalement.
Andreas, un homme à la fois brut et mystérieux, pénètre alors dans la vie de Natalia et vient briser cette solitude. Au départ, ce lien est étrange. Andreas est filmé comme un prédateur , dont le désir purement sexuel soumet le corps de Natalia, un corps où seule la souffrance exulte. Mais au fur et à mesure que le désir s’intensifie et devient réciproque, les corps se rapprochent et s’étreignent en gros plan, créant une atmosphère aussi sensuelle qu’étouffante. Leur sexualité se transforme en un exutoire enivrant . De ces étreintes inattendues et brutales naît une attraction dévorante qui les consume. Dans l’intimité de leurs rencontres, le spectateur perçoit alors un besoin ardent d’être aimés. Pourtant, seule Natalia semble développer un attachement profond, frôlant l’obsession pour se sentir exister dans ce pays qui broie et efface. Andreas lui reste distant, émotionnellement détaché: impénétrable. L’horizon du film alors devient celui de cette relation. Le cadre s’élargit, dévoilant le paysage à travers le point de vue subjectif des personnages.
Mais peu à peu, tout se resserre à nouveau : les personnages, les lieux, les cadres, comme si la relation avec un homme devenait le seul souffle face à la suffocation d’un village oppressant. Avec Un amor, Isabel Coixet questionne l’enfermement des femmes dans une société figée, où l’homme peut aller jusqu’à « mettre une clôture pour que sa femme ne s’échappe pas», une société où la femme est conditionnée à l’obéissance et au silence. Elle y explore avec subtilité la quête de liberté et l’instinct de survie des femmes dans un monde qui les contraint à chaque instant. Mais si la forme se plie à cet enfermement, le geste de la cinéaste, comme celui de son personnage, est un geste de résistance. Un amor est aussi le récit de la puissance du doute existentiel et amoureux qui nous fait encore tenir debout, grâce à quoi on se sent vivant.
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