Fable à la fois attachante et agaçante, le dernier film d’Ivan Ivanovitch Tverdovski témoigne de cette jeune vague du cinéma russe cherchant à tout prix, entre dénonciation politique et esthétique toc, à épater son spectateur. Nous nous souvenons de déception, lorsque le jury d’Arras 2018 séduit par tant d’esbroufe remit à L’Insensible (Jumpman) l’Atlas d’Or. Nous étions quant à nous incapables de sauté dans cet enthousiasme. Porté par une très belle ouverture, contenant juste ce qu’il faut de mystère et d’émotion, L’Insensible laisse pourtant rapidement l’impression d’être passé à côté de son sujet.
Denis, un adolescent abandonné par sa mère à sa naissance, souffre d’une maladie grave et rare : l’analgésie congénitale. Autrement dit, il est incapable de ressentir la douleur. Sa mère n’ayant pas obtenu l’autorisation de le reprendre avec lui, ils quittent tous deux l’orphelinat dans l’illégalité (et sans qu’ils n’en soient jamais inquiétés). Mais la particularité et la naïveté de Denis l’amènent à être utilisé comme piéton supposément accidenté dans le cadre d’un vaste réseau de chantage. Si le personnage principal se révèle particulièrement attachant et sincère, cela ne suffit pas à compenser le manque d’écriture de l’ensemble des protagonistes, tombant même parfois dans la caricature, à l’image de ces scènes d’audience se déroulant dans un véritable tribunal de l’absurde, théâtre de vendus faisant la fête ensemble le soir et le jour envoyant en prison les innocentes victimes de leur machination. En étant ainsi outrée, exagérée, la caricature de la Russie et la dénonciation des institutions (justice, police, hôpital) manque son but, en plus de suivre une mécanique répétitive lassante. De même, alors qu’on aurait voulu la voir constituer un des cœurs du film, la relation mère-fils à l’ambiguïté artificielle sombre dans le cliché et le le malaise par par son volontarisme artificiel et complaisant.
La lumière n’est nulle part, mais si le propos est respectable, l’exagération de la noirceur desservent le film. Tout se résume aux magouilles, coups bas et vexations, de manière si forcée que le sort de Denis, finalement, nous importe sans nous emporter, sans compter que sa maladie demeure plus un outil qu’un tremplin vers une réflexion plus profonde.
De là le caractère précieux d’une jolie photographie parfois vaporeuse, de quelques belles scènes fuyant le côté un peu tape-à-l’œil du reste de la mise en scène, et de cette fin en forme de retour au commencement, où Denis n’est plus méprisé, mais quelque part reconnu, et où son absence de souffrance n’est plus utilisée à des fins malveillantes mais sous forme de jeu, de défi (étrange et quelque peu malsain, mais ce sont autant de questions que le film ne traitera pas). Si la frustration de ne pas l’avoir plus rencontré demeure, au moins son regard plein de pureté nous aura-t-il happés.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).