Avec son second film, Ivan I. Tverdovsky s’éloigne un peu de l’ancrage social de Classe à part, dans lequel il dressait le portrait d’adolescents marginalisés. Zoologie s’intéresse toujours aux exclus de la société, en adoptant cette fois le point de vue d’une femme dans la cinquantaine.
L’intrigue s’aventure sur les terres d’un fantastique proche de celui de Nicolas Gogol ou de Franz Kafka, de celui qui dénonce les institutions par la lorgnette de l’absurde. Comme une héritière de Gregor Samsa, le personnage de La métamorphose qui se retrouve transformé en cafard un beau matin, Natasha se voit pousser une queue dans le bas du dos. Petite employée du zoo municipale qui vit avec sa mère, elle mène une vie renfermée, à subir les vexations de ses proches et collègues. Cependant, cet étrange événement va la révéler à elle-même et un souffle de liberté va alors étreindre Natasha.
Comme chez Gogol ou Kafka, l’élément fantastique apparaît comme une moyen et non une fin en soi, comme le révélateur des comportements des personnes qui entourent l’héroïne. Ivan I. Tverdovsky utilise l’absurde et l’humour pour décrire une administration bornée constituée de gens petits et vulgaires, jusqu’à parfois grossir le trait. N’en déplaise à Jean-Luc Mélenchon et au fan club de Vladimir Poutine, Zoologie dresse un portrait peu flatteur de la Russie actuelle, pays rongé par le totalitarisme et la pensée unique. « Aujourd’hui, la société dans laquelle je vis et les gens qui m’entourent vivent d’une façon qui est différente de ce qui se passait il y a même cinq ans », raconte Ivan I. Tverdovsky. « Les gens ne recherchent plus leur individualité, au lieu de cela ils se tournent vers quelque chose d’universel. Il faut que tu achètes tes vêtements dans les boutiques à la mode, que tu ailles à des concerts branchés et que tu aies dans ton frigo une variété de nourriture spécifique, la même que celle de ton voisin. » Film sur le droit à la différence, Zoologie célèbre la liberté individuelle et conspue l’intolérance et l’instinct grégaire.
Avec le personnage de Natasha, Ivan I. Tverdovsky décrit un peuple superstitieux et prêt à croire n’importe quelle fable, trop heureux de trouver un bouc-émissaire à ses malheurs. Le cinéaste met ainsi en évidence le poids de l’église orthodoxe, son hypocrisie et son sectarisme. « Pour moi, Zoologie est une méthode de lutte contre la réalité », explique-t-il. « J’espère que ce film deviendra véritablement un remède efficace conte l’unification et la standardisation de toute société. » Un alignement qui peut prendre différente forme et amener les individus à se renier eux-même, jusqu’à provoquer des comportements déviants. L’abus de pouvoir, l’homosexualité refoulée, la corruption sont autant de thèmes que le réalisateur aborde à travers le point de vue de Natasha.
Seulement, comme pour souligner la portée politique et sociale de son propos, Ivan I. Tverdovsky opste pour un filmage à l’épaule. Les champ/contre-champ laissent à la place à des filets, la caméra ne cesse de bouger, même de façon infime, comme si ce parti pris faussement misérabiliste, mais véritablement maîtrisé, était garant de réalisme. A ce maniérisme, s’ajoute une belle direction de la photographie qui laisse penser qu’il s’agit plus d’une afféterie que d’une volonté d’être en accord avec le fond. Surtout que le film est parsemé de beaux plans de cinéma, d’images comme échappées d’un film de science-fiction grâce à des décors particulièrement cynégétiques et son travail sur la lumière. « Nous avons choisi une ville côtière dans le sud du pays », se souvient le réalisateur. « C’était très surréaliste – il n’y a pas d’autre endroit où nous aurions pu trouver une église orthodoxe située dans une épicerie ou une énorme antenne parabolique en béton appartenant à une station météorologique. Rien n’a été construit ou inventé – tous ces endroits existent vraiment. Nous voulions que ce lieu surréaliste soit beau. »
Si la réalisation de Ivan I. Tverdovsky peut installer une distance entre le film et le spectateur, Zoologie réserve néanmoins des instants de grâce où la poésie se mêle au rire et à la dénonciation car jamais il ne pose un regard condescendant sur ses personnages principaux.
Zoologie
Titre original : Zoology
(Russie/Allemagne/France – 2016 – 87min)
Scénario & réalisation : Ivan I. Tverdovsky
Directeur de la photographie : Alexander Mikeladze
Montage : Ivan I. Tverdovsky & Vincent Assman
Interprètes : Natalia Pavlenkova, Dmitry Groshev, Irina Chipizhenko, Zhanetta Demikhova…
En salles depuis le 15 mars 2017.
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