Patrick Tate (Emile Hirsch) sourit peu. Il faut dire qu’entre une vie de famille pépère qui s’encroute gentiment (la Californie est à quelques kilomètres, mais madame a la flemme, il faut dire que madame râle, elle est française) et une mortalité en berne depuis que son petit bourg du Far West est gouverné par le religieux interdisant alcool et prostitution, il commence à se demander sérieusement si croque-mort est un métier d’avenir.

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Maigres revenus et maigres récoltes, l’hiver s’annonce rude à Garlow, n’était-ce l’arrivée, par une nuit sombre, d’une bande de chasseurs de primes menés par Dutch Albert (John Cusack, excellent), bien décidés à prendre en main la ville et à redonner du travail à Patrick à coups de Smith et Wesson.

Never Grow old est donc l’histoire de cet homme absent, Judas embarqué bien malgré lui dans un pacte faustien dont le plan d’ouverture laisse deviner l’issue fatidique.

L’histoire du rêve américain brisé sur les rives du mal absolu. Grim and gritty : en prenant le parti d’un microcosme -le bourg-, et en refusant toute poussée épique, lvan Kavanagh parvient admirablement à décrire le quotidien de ces millions de rêveurs confrontés au réel de l’Amérique, à ses désillusions, ses douleurs, sa Nature capricieuse. Comme dans le John McCabe d’Altman, ou dans une moindre mesure La porte du paradis, c’est un western de boue, d’échoppes dégueulasses et de poussière, un quotidien de bois scié fraîchement mais déjà vermoulu, une vie dont on sent qu’il suffirait de peu pour que les fondations s’écroulent.

Quand il se cantonne à ce quotidien crasseux, à jouer des accents et à laisser l’histoire dans le suspens des jours (un enterrement, un passage chez le marchand, l’intimité d’un repas, même avec des brigands), le film est superbe.

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Le problème est que parfois, un éléphant fait des dégâts dans un magasin de porcelaine, et il faut bien qu’un mec habillé tout de noir, avec un chapeau trop large et un sourire maléfique vienne troubler la belle bâtisse du projet. Si possible par une nuit triste et pluvieuse.

Il se crée alors une dissonance entre le naturalisme de la démarche et l’archétypal du personnage d’Albert, trop méchant parmi les méchants, agitant les bras dans un grand show piratedescaraibesque, affublé d’un vilain manteau et d’étranges acolytes (dont un muet pervers à la langue coupé), et se contentant pour seuls dialogues de punchlines à la Dirty Harry, afin d’accentuer que « vous avez vu, je suis le méchant du film ».

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C’est d’autant plus dommage que le film dégage par son unique réalisation une belle tension crescendo, dans les scènes intimes -le premier dîner- comme dans les moments plus cérémoniel -la scène de pendaison-, et que cette peur, dans le fond, disait bien à elle seule tout le fond du projet : la lutte contre le Mal, par la religion ou simplement par la présence de l’Homme dans ces terres, la peur de l’échec de ces défricheurs (tout le travail sur les origines ou les accents de chacun, ébauché dans la première demi-heure puis complètement oublié), l’Amérique malade de sa violence, hier comme aujourd’hui.

Et si le grand guignol de Dutch Albert apparaît comme une manière efficace de synthétiser en si peu de temps (1h40) la lutte pour cette « Destinée manifeste » et ses résonances contemporaines, le film finit par lui par ployer sous sa volonté de fable, ne parvenant jamais, au fond, à trouver l’équilibre entre ses tentations contraires.

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Reste une agréable série B déjà vue et réchauffée, lorgnant vers les grands maîtres sans avoir les épaules assez larges, définitivement malade de ses clichés mais assez époustouflante dans la beauté de sa lumière (le noir brûlant de la nuit, le vaporeux suspendu du jour où jamais le soleil ne semble se lever), distillant avec finalement trois fois rien une ambiance, un souffle et une tension intense. C’était sans doute dans son rythme, la durée, lente, implacable, de chaque plan, qu’il aurait pu parvenir à devenir cette belle œuvre hantée par la mort à laquelle il prétend.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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