Dans la grande tradition du récit d’apprentissage professionnel et intime, à la croisée du teen movie et du film social, Sage-Homme suit l’évolution de Léopold, un jeune étudiant en médecine qui, ayant raté sa première année, se trouve contraint d’accepter une formation de sage-femme… Comme il ne cesse de l’affirmer, c’est temporaire, et il ne pense qu’à cette future passerelle qui lui permettra de réintégrer de vraies études pour être médecin. Julie Devoldère suit de manière assez classique les étapes de l’initiation et de la prise de conscience, du mépris à l’amour en quelque sorte : plein d’aigreur, défiant, Léopold aborde cette étape de sa vie comme un pis-aller, face à cette profession qu’il méprise un peu. Il appartient à une classe sociale modeste, un milieu dominé par les hommes pour qui sage-femme n’est qu’une place subalterne, pour qui accoucher n’est qu’une formalité presque technique.
Honteux, Léopold cache à son père son échec pour rester le modèle de réussite dans une famille monoparentale (la mère est morte) où il continue à s’occuper de ses petits frères, leur préparer à manger, et les amener à l’école. Au-delà d’un parcours assez classique, ce que réussit subtilement Julie Devoldère – comme en témoigne son titre ironique – c’est une forme de déconstruction de virilité, en douceur, une déconstruction à la fois introspective – puisqu’elle va transformer, le rapport de Léopold à sa masculinité – et sociale, puisqu’elle opère une véritable remise en cause du système hospitalier et social. La plupart croit que le terme sage-femme désigne celle qui accouche, Léopold pensant, presque humilié, qu’il va occuper une place réservée à une femme. Le film corrige rapidement cette erreur : on peut dire autant un que une sage femme. De fait, il arrive dans un milieu de filles, ce qui ne manque pas de provoquer de la part de son oncle ou de ses amis des clins d’oeil grivois. Pour qu’il y ait possibilité de transformation, il faut un mentor. Et c’est en le brusquant que Nathalie va le mener à se réveiller, à reconsidérer à la fois son éducation, son rapport au monde…et même à la sexualité.
Sage-Homme nous immerge littéralement dans ce parcours, dans un rythme qui ne faiblit jamais. Si regard que pose Devoldère est féministe, il est toujours partagé entre la critique et l’optimisme : c’est un regard qui croit, entre l’émotion et l’humour. C’est peut-être Karin Viard qui incarne le mieux l’esprit du film, à la fois libre, rageuse, désopilante, bouleversante et son duo avec le formidable Melvin Boomer emporte littéralement le film dans son mouvement. L’air de rien, dans les multiples apprentissages de son jeune héros, Sage-Homme évoque avec humour et acuité le rapport de l’homme au corps de la femme, à la féminité même, qu’il s’agisse d’évaluer l’ouverture du col utérin ou d’apprendre sur mannequin à caresser sa future petite copine pour devenir un bel amant.
La cinéaste évoque les dysfonctionnements du système médical où les démarches administratives seraient bien capables de laisser mourir les patients, l’héroïsme d’une profession méprisée par les médecins eux-mêmes. Si Sage-Homme est trop porté par ses personnages pour être ouvertement politique, il n’en reste pas moins totalement ancré dans la réalité contemporaine, à commencer par cette sensation d’une liberté totale de parole donnée à ces femmes qui désormais semblent bien décidées à s’affranchir du regard masculin et de sa domination. Les protagonistes n’obéissent plus à des conceptions traditionnelles de la famille (voir Nathalie, mère « indigne »), se refusent désormais à appliquer les règles imposées et s’affirment en tant que libres de gérer leur corps et leur vie. Mais ce regard s’applique également à travers son héros dans l’espoir d’une évolution des mentalités.
Comme le dit la future petite amie de Léopold, dans un hôpital, la maternité est dans l’ensemble l’un des rares lieux pour les bonnes nouvelles, le lieu où la femme donne la vie et où habituellement ce sont plutôt des femmes qui les accompagnent. Ce passage de relais dans les mains d’un jeune homme attentionné définit symboliquement ce parcours lumineux.
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