John From+Rita = <3
Soit la chronique tendre et fantasque d’une adolescence, celle de Rita, perdue au milieu d’une banlieue grisouille que vient percer quelques couleurs pétantes.
Ennuyée comme toutes les adolescentes, préparant son été sur son balcon qu’elle transforme en pédiluve à grand coup de seaux d’eau, et échangeant des mots doux d’ascenseur avec sa bestoune rousse, elle croise sans le vouloir la route de son nouveau voisin en voyant quelques unes de ses photographies ethnographiques au Centre culturel du coin. A partir de là, tout s’enchaîne : Rita DOIT le séduire. Elle l’aime, bordel. Infininiment. Passsionnement, à la folie et comme si sa vie en dépendait : plus rien ne peut avoir de sens, si ce n’est à ses côtés. Quitte à se renseigner sur la Papouasie, se grimer en autochtone ou célébrer le culte de John From, variation Mélanésienne des Dieux sont-ils tombés sur la tête. Et petit à petit soumettre le monde à son désir et à son fantasme.
Dieu qu’il est bon de trouver un cinéaste si fantastiquement heureux de filmer.
Si le film impressionne dès ses tous premiers plans par sa qualité plastique, son ton décalé et la musicalité de son univers, jouant de la théâtralité assumée et de la couleur au point de rappeler Demy dans son meilleur, cette légèreté apparente et stimulante ne doit pas faire croire que le réalisateur ne prend son sujet que comme argument léger, divertissement solaire et sourire en coin.
Au contraire, et c’est d’ailleurs son vrai génie : ce désir et ce sujet (puisqu’ici l’un se confond avec l’autre), il le traite avec le plus grand des sérieux, à hauteur de puberté, à flancs de hanches et d’émois.
Bercé de musique et de pulsions, il y saisit avec grâce ce sentiment obtus et total de l’adolescence, où le monde n’existe que par obsession et investissement global, dans un double mouvement (centrifuge « je veux me convaincre que je dois avoir cet homme » et centripète « pour cela, je vais soumettre les choses à ma vision ») que traduit bien la bascule progressive de son propos esthétique tout au long du film : d’une bizarrerie étrange, façon ennui adolescent mortel d’une banlieue triste, à un grand barnum mental où Papa et maman se griment en indien pour offrir la main de leur fille, où la végétation envahit le quartier sans que personne ne s’en inquiète et où la brume mystique emporte les êtres et les voitures sans chauffeurs.
Drôle et décalé, sorte de Wes Anderson sans le tralala, il le dépasse dans l’idée que chez Nicolau, cet univers baroque n’existe pas comme bonbonnière a-priori, dans lequel les personnages viendraient s’inscrire comme élément supplémentaire (ce que nous appelons du cinéma de chef-déco).
Car c’est ici le processus mental et physique des personnages qui est générateur d’une fiction et d’un univers à laquelle il va s’agir de s’offrir corps et âme pour organiser un progressif délitement/déraillement du réel.
Comme si le film passait progressivement du « elle » au « je », par un double mouvement, esthétique (quelques cadres frontaux, un découpage très « une femme est une femme » et un travail du décor impressionnant) et tonal, du portrait au comique au fantastique, se réinventant à chaque instant, à chaque plan, d’une embardée à l’autre, d’un incongru au suivant.
Car ce qu’il conte, dans le fond, dans sa mutation plastique et liquide, c’est cette recherche de soi, ce tâtonnement si pur de cet âge ingrat, celui des possibles. Un film adolescent lui-même, subissant de plein fouet les mutations physiques et érotiques de son héroïne. Faire corps avec la fille, faire corps avec le monde. Chapeau bas.
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