La sortie aujourd’hui sur nos écrans de The Lost City of Z constitue un petit miracle et s’explique au moins autant par l’acharnement de son réalisateur, James Gray, que par le soutien de son producteur, Brad Pitt. En 2011, James Gray pensait en effet que son film ne verrait jamais le jour faute d’argent. C’est finalement avec un budget relativement réduit[1] et sans l’aide des grands studios que le réalisateur parvient à déployer une grande fresque narrative et spectaculaire digne de l’âge d’or du cinéma.
Pour la première fois, James Gray quitte avec The Lost City of Z le territoire familier qu’est New-York pour l’Amazonie. Quelque part entre Aguirre, la colère de Dieu de Werner Herzog et L’Etreinte du serpent du colombien Ciro Guerra, le film de James Gray n’échappe pas complètement à certains clichés propres au film d’explorateur, de l’attaque de piranhas à la rencontre d’Indiens cannibales. Mais il les dépasse et propose une réflexion mélancolique sur la liberté et le destin.
En adaptant le roman de David Grann[2], journaliste au New-York Times, James Gray donne à voir l’incroyable épopée d’un officier britannique qui se découvre une vocation d’explorateur au début du XXème siècle. L’histoire débute en 1906 quand Percy Fawcett, jeune et brillant major de l’armée anglaise, se voit proposer une mission en Amérique du Sud, qui consiste en l’arbitrage d’une frontière entre le Brésil et la Bolivie. Réticent à l’idée d’abandonner sa femme et son enfant, le héros cède en voyant dans cette expédition la promesse de « laver son nom », souillé par la vie dissolue de son père. Alors qu’ils remontent le Rio Verde pour effectuer un dernier relevé topographique aux sources du fleuve, Percy Fawcett et son aide de camp Henry Costin découvrent des ruines qui semblent être le signe d’une ancienne civilisation.
The Lost City of Z s’inscrit dans la tradition du film d’aventures par son intrigue, menée de main de maître. Si on peut trouver au film quelques longueurs[3], celles-ci sont rachetées par un final illuminé, d’une immense mélancolie. L’action s’étale sur une vingtaine d’années et elle est rythmée par les expéditions du héros, qui multiplie les allées et venues entre le Royaume Uni et l’Amérique du sud. Le récit prend une véritable ampleur dans le dernier tiers du film quand il rejoint la grande histoire et retrouve le vieux monde pour une plongée au cœur de la première guerre mondiale. Si on peut reprocher aux séquences de jungle un air de déjà vu – dont un joli clin d’œil au Fitzcarraldo de Werner Herzog – le film se révèle passionnant quand il dépeint la société occidentale dans sa cupidité, son arrogance et sa xénophobie. Le héros essaie en vain de contrer les préjugés racistes de ses contemporains, notamment quand il fait part de sa découverte aux représentants de la Royal Geography Society. James Gray filme dans une séquence d’une grande intensité dramatique la solitude d’un esprit éclairé, en avance sur son temps, déchaînant les rires d’une assemblée d’hommes blancs, conservateurs et bornés. En réalité, l’ouverture du film permettait déjà de douter de la prétendue supériorité de la civilisation occidentale à travers la mise en scène d’un rituel aristocratique et barbare au son du tambour et de la cornemuse : la chasse à courre. C’est que l’exploration d’un nouveau genre cinématographique n’empêche pas le réalisateur de La Nuit nous appartient de poursuivre sa réflexion sur la société de classes. On retrouve son obsession pour l’injustice et le manque de mobilité sociale à travers le portrait d’un homme mis au ban de la bonne société en raison des frasques de son père. Dans une des premières scènes du film, on entend un personnage dire de Percy Fawcett qu’il a été « plutôt mal avisé quant au choix de ses ancêtres ». Ce trait d’humour spirituel qui s’exerce aux dépens du héros est symptomatique d’une société dont le raffinement n’a d’égal que le sectarisme et pour laquelle le rang passe avant le courage.
The Lost City of Z se distingue surtout par le jeu remarquable de ses acteurs comme par l’épaisseur de ses personnages, parmi lesquels des seconds rôles superbement écrits. James Gray excelle à brosser le portrait d’un personnage complexe qui se rattache par sa grandeur et sa défaillance aux héros de ses précédents films. Sa quête d’absolu fait de Percy Fawcett un idéaliste au tempérament ardent et tourmenté, contrebalancé par le flegme de son fidèle partenaire, Henry Costin. Celui-ci est campé par un Robert Pattinson méconnaissable, tout en retenue et en nonchalance, et qui interprète ici son plus beau rôle au cinéma. Sienna Miller n’est pas en reste puisqu’elle incarne avec beaucoup de talent une épouse très en avance sur son temps, contrainte d’endosser le rôle de mère et de vivre dans l’attente quand elle s’épanouirait dans l’action. Ce destin sacrifié met à mal l’image du héros, habité par une soif infinie de découverte mais également prêt à abandonner les siens pour un projet chimérique. Le déchirement du personnage, assailli par une forme d’insatisfaction perpétuelle, habité par le sentiment de ne jamais être à sa place, rattache finalement The lost city of Z au cycle des premiers films de James Gray. Ce dernier s’exprimait en 2009 à propos de son film à venir : « Mais c’est peut-être toujours la même histoire : un homme essaie de se réaliser loin de sa famille et finit par y revenir. »[4].
[1] 30 millions de dollars
[2] David Grann, The lost city of Z: a Tale of Deadly Obsession in the Amazon, Doubleday
[3] durée du film : 2h20
[4] http://www.telerama.fr/cinema/une-journee-entiere-avec-james-gray,47563.php
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