Ils sont beaux, ils sont heureux, ils s’aiment. Elle attend un enfant. Dans leur salon, une pancarte affirme : « Ensemble, on peut tout surmonter ». Mais elle pend de travers.
Le film s’ouvre et se ferme sur un ronflement. Pourtant, l’ennui ne guette pas.
Le futur père de famille, un acteur de seconde zone, est soudain victime de crises aiguës de somnambulisme, au cours desquelles il se livre à des actes de plus en plus délirants ou horrifiques. Une fois le bébé né ( c’est de loin le personnage le plus calme du film! ), sa mère craint pour sa vie. On entre dans un monde déréglé et paranoïaque. Tout ici illustre la plus pure définition du fantastique telle qu’elle fut théorisée par Todorov: sans cesse l’on passe de l’hypothèse rationnelle ( un trouble du sommeil paradoxal) aux pistes les plus folles ( une possession par le fantôme du voisin du dessous).
Les références kubrickiennes sont évidentes. Tous les motifs du genre sont là – couteau, porte à défoncer, route sinueuse, objets du quotidien devenus inquiétants, menace sur la femme et l’enfant- comme les procédés visuels qui les accompagnent – travelling compensé, vue du dessus, etc.- Mais il ne s’agit jamais de l’exhibition vaine d’une technique nouvellement acquise ( c’est un premier film). Le sens du tempo, les cuts toujours bien placés, l’alternance entre la peur et le rire, le jeu avec les attentes du spectateur, tantôt confirmées, tantôt déjouées, font de Sleep une oeuvre jubilatoire.
La mise en scène passe par une métamorphose des lieux. Le douillet cocon familial se mue en prison de haute sécurité puis en sanctuaire chamanique noyé de rouge. Transformation progressive du décor, déplacement constant de la folie d’un personnage à l’autre, jeu sur les contrastes sonores et musicaux, revirements imprévisibles du scénario, nous entrainent dans un savoureux délire. Yu-mi Jung et Sun-kyun Lee, déjà aperçus chez Hong Sang-Son et Bong Joon-ho ( dont Yu a été l’assistant), sont parfaits dans ce parcours qui les fait passer de la candeur à la folie.
Il n’est pas interdit de voir dans ce film un conte horrifique et drolatique sur la maternité, forme de possession qui fait vaciller l’équilibre d’un couple. Mais Yu ne tient pas son spectateur par la main pour lui infliger un « message ». Il lui offre, tout simplement, un spectacle.
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