Drôle d’objet un peu effrayant de prime abord que ce Sigo Siendo, vendu comme « un étonnant périple au cœur des paysages musicaux du Pérou », fleurant bon a priori la world culture et l’accumulation de musiques folkloriques à même d’impressionner le bobo ou la spectatrice européenne en mal de dépaysement culturo-France-bleu.
Intriguant, aussi, quand on sait que son réalisateur, Javier Corcuera, est plutôt adepte de sujets autrement plus brûlants et engagés comme la question des droits de l’homme, l’Irak ou les guerillas colombiennes. Alors, film de pause au milieu du marasme social ? Pas si simple.
Chants des villes, chants des champs : longue pérégrination silencieuse et musicale, le film se dévoile lentement de prime abord comme un parcours géographique, des indiens quechuas au cœur de la jungle, puis des petits villages agricoles aux mégalopoles, accompagné pendant un long moment de son parcours par Don Maxim, triste vieux violoniste prodige que l’on abandonnera à l’orée de la modernité de la ville.
Oubliez tout de suite l’idée d’en saisir toute la finesse : à moins d’en être spécialiste, Sigo Siendo ne prend pas la peine d’une explication de texte pesante ou d’une présentation hagiographique, enchaînant les name dropping et stars qui perdent à peu près tout sens dès qu’on quitte les frontières du pays.
Et c’est paradoxalement dans cet impolitesse que se trouve la beauté du film, ne laissant à l’oreille d’un spectateur perdu que les sons, les thèmes, et la profusion des variations qui conte à elle seule toute la variété civilisationnelle : des sonorités ‘naturelles’ et mélancoliques de la jungle aux chants et danses afro-cubains de la ville, en passant par les processions dansées des montagnes.
Parcours musical autant que sociétal (à chaque ethnie son style, se nourrissant ou se confrontant aux autres, et le passage de la jungle à la ville est symbole de mutation), le film peut simplement se vivre comme une lente mélopée agréable et dépaysante, organisant la confrontation des mélodies intimes aux paysages grandioses qui les abritent, tentant une documentation si ce n’est exhaustive mais au moins panoramique des chants qui accompagnent les hommes.
Formellement assez convenu, pour ne pas dire par instants plan-p(l)an voire vieillot (séquences surjouées, rejouées, personnages parlant à voix haute à chaque geste, moments de « surprises » où le personnage oublie les 2kw de lumières dans la pièce, etc.), et perclus d’épaisses longueurs talking-heads frisant le somnambulisme, le film vaut surtout pour son horizon de conservation, bizarrement et joliment mélancolique, que traduit bien mieux son autre titre, « Kachkaniraqmi », terme quecha qui signifie « malgré tout, je suis toujours en vie ».
« malgré tout ». Délaissant la trop facile tentation world et l’Ushaia factory, au-delà de sa tentation boutiquière (le listing non exhaustif des formes de musiques au Pérou,), c’est surtout à une étrange parade funèbre qui se racontent très souvent au passé que nous convie secrètement le film.
Nostalgie : car ce qui frappe dans son déroulé, c’est cette attention particulière et appuyée pour les maisons abandonnées, les rues vides, les malles dans la poussière et les villages fantômes. C’est le siège des fêtes perdues, des danseurs rejoignant les étoiles et des chanteurs que seul porte aujourd’hui l’écho des Andes.
Mélancolie : dans ces chants parfois animistes, parlant d’eau, de coca, d’oiseaux bigarrés et d’amours discrètes défile la multiplicité perdue des peuplades, des sons « dictés par la rivière », contant par revers la transition d’une société de besoin (cette eau rituelle et ritournelle, qui vient sans cesse à manquer) à une société d’envies.
Hors du folklore, hors de la fête foraine multicolore, en deça des clichés tout en ne résistant pas parfois à la démonstration appuyée, Sigo Siendo filme cela : les fantômes d’une âme et de ses ramifications multiples, la variété nostalgique d’un peuple qui « demandait l’autorisation à la montagne de jouer » et où la cascade bénit encore les futurs danseurs.
Belle intention pour un film que l’on croyait succession de saynètes musicales et qui petit à petit se charge de silence et de requiem, oscillant entre la joie du rythme et la tristesse sourde de ce qui a été perdu.
Drôle de pays où l’on vient danser devant les tombes, réelles ou métaphoriques : « tous reviennent par les chemins du souvenir ».
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