Quand un critique de cinéma passe derrière la caméra pour se livrer à l’exercice documentaire, on redoute le pire : érudition, exégèse destinée aux cinéphiles ou didactisme appuyé en direction des néophytes. Qu’on se le dise We Blew it de Jean-Baptiste Thoret n’est pas un documentaire sur le cinéma américain, ni sur le nouvel Hollywood, ni sur la beat generation. Il est aussi cela mais il aspire à bien plus que cela : véritable œuvre propédeutique au cinéma américain, à l’Amérique de Kennedy et à celle de Trump, We Blew it donne sens à ces images, paysages, totems, mythes si familiers et désormais imprégnés dans toute notre culture occidentale, impérialisme oblige. Pari gagné pour le critique et historien du cinéma américain qui signe ici une œuvre cinématographique, éclairante, aussi mélancolique qu’autobiographique en miroir d’Easy Rider de Dennis Hopper.
On the road again, Jean-Baptiste Thoret parcourt durant l’année 2016 mais en sens inverse d’Easy Rider, d’Ouest en Est, cette Amérique dont la géographie et l’immensité du territoire semble être conçue pour tailler la route. Authentique road movie donc, la succession de paysages s’enchaîne avec les rencontres de bonne fortune, comme celles plus calibrées avec des réalisateurs américains chers au critique de cinéma, comme Paul Schraeder ou Michael Mann, en pleine campagne présidentielle au moment où l’Amérique s’apprête à voter pour Donald Trump. En parcourant un territoire aussi vaste et disparate que les États-Unis, il était impossible de faire l’impasse sur l’Histoire qui l’a façonné et c’est sous forme d’ellipse que Jean-Baptiste Thoret fixe ainsi l’assassinat de Kennedy et celui de Sharon Tate par Charles Manson comme les véritables points de rupture dans l’Histoire américaine du XXème siècle, encore présents aujourd’hui à l’état de fractures dans l’imaginaire collectif américain et ayant désormais valeur de mythes fondateurs.
Véritable fil rouge qui suit la ligne jaune de la route 66, des autoroutes et des dernières pistes, Jean-Baptiste Thoret questionne donc comment l’Amérique est passée des années Woodstock, « drugs, sex et rock’n’roll » au Burning man, à Donald Trump et à sa promesse du Make America Great again. Si Jean-Baptiste Thoret pose cette question centrale comme postulat, We Blew it adhère cependant réellement au road movie, offrant des portraits inattendus, bigarrés loin des stéréotypes américains référencés. Et c’est ainsi que de manière quasi subliminale, We Blew it enlace Histoire et cinéma, l’une renvoyant à l’autre et réciproquement dans un twist servi par le format scope et une BO épousant ce va-et-vient au rythme de California dreamin.
Se refusant d’être un film ultra référencé – aucun extrait de cinéma à l’appui ! – et malgré les hommages appuyés à Easy Rider dans sa scène d’ouverture et à Electra Glide in blue (James William Guercio) dans son final, We Blew it parvient dans ses thématiques récurrentes liées aux problématiques des années 60/70 à convoquer The Deer Hunter de Michael Cimino et The Wild Bunch de Sam Peckinpah à l’occasion d’un séminaire de vétérans du Vietnam – au panthéon de Jean-Baptiste Thoret certes – et l’ensemble de la culture cinématographique du spectateur en puissance. Ainsi, Duel (Spielberg), American Gigolo (Schraeder), Taxi Driver (Scorsese) et la liste peut s’allonger et y inclure l’ensemble du cinéma américain trouvent leur résonnance dans ce panorama de l’Amérique et des américains.
Les critiques sont des passeurs et à ce titre, We Blew it est autant l’œuvre d’un cinéaste que celle d’un documentariste dont le superbe générique monté au rythme de God Save America transmet d’emblée la faim (fin?), la mélancolie et l’amour du cinéma… américain.
Lire l’entretien de Carine Trenteun avec le réalisateur Jean-Baptiste Thoret.
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