On pensait tout savoir sur le team-building, ces activités proposées aux salariés d’une entreprise pour renforcer leur cohésion : atelier cuisine, olympiades, chasse au trésor… Désormais, une nouvelle animation fait fureur : l’atelier de « destruction autorisée » ou de « destruction constructive ». Beau paradoxe ! Les descriptifs sont plus alléchants les uns que les autres : « lâchez-vous : cassez tout ! », « démolir pour mieux reconstruire »… Mais de quoi s’agit-il ? Envoyer de la vaisselle contre un mur, détruire une voiture ou une photocopieuse permettrait semble-t-il de « diminuer les tensions » ainsi que « les sensations de stress et d’énervement ». C’est de ce concept que s’empare Jean-Marc Vallée dans son dernier film Demolition en l’appliquant à son personnage. Jake Gyllenhaal y incarne un jeune veuf, Davis Mitchell, riche banquier d’affaires new-yorkais, dont la femme vient de mourir dans un accident de voiture. L’idée de départ, celle de rompre avec une vie de yuppie pour renaître par l’envie de destruction, était intéressante. Dommage que Jean-Marc Vallée peine à tenir toutes les promesses d’un tel scénario.
Le premier tiers du film est plutôt réussi, en dépit de l’usage pénible des flashbacks. On y découvre un personnage déplaisant, peu attentif aux autres, jusqu’à l’accident de voiture. Cette nuit-là, au moment où Davis apprend le décès de sa femme Julia, l’un des distributeurs de confiseries de l’hôpital se bloque. Passant outre la nouvelle tragique, Davis mobilise toute son énergie à se faire rembourser les quelques dollars perdus dans la machine. Il envoie une lettre de réclamation à la responsable du service clients de l’entreprise, dans laquelle il se livre complètement puis se met à lui écrire courrier sur courrier. Cet échange épistolaire incongru permet d’installer dès le début de Demolition un ton décalé et par moments franchement drôle tout en nouant une relation hasardeuse et touchante entre deux êtres à la dérive. Le déni du héros est particulièrement bien rendu : Davis semble constamment en décalage par rapport à son environnement et le spectateur est invité à adopter le regard indifférent du personnage. Aucun pathos donc comme dans cette scène d’enterrement que le réalisateur filme du point du vue de Davis, en se focalisant sur la rumeur de la ville, sur le bruit de la circulation, sur un vol de pigeons et le froissement de leurs ailes et en faisant des proches de la défunte des silhouettes endeuillées lointaines, presque anonymes.
Le film reste malheureusement très en surface et avance à coups de stéréotypes. Certes, il est porté par une belle performance d’acteurs : Jake Gyllenhall, jeune veuf dont l’impassibilité scandalise la belle-famille, Naomi Watts, tout aussi convaincante dans le rôle d’une Karen Moreno un peu fissurée, et Judah Lewis, qui interprète avec brio un ado rebelle. Tous trois forment un trio bancal et attachant en marge de la société. Mais on regrette qu’ils ne soient pas plus creusés et que les personnages soient souvent résumés à des actes ou des postures. Formellement très convenu – on ne reviendra pas sur la chronologie du film – le film manque également de rigueur dans son écriture et son dénouement très appuyé ne fait que confirmer cet aspect. Demolition reste en somme assez sage et bien-pensant pour un film censé parler de rupture sociale.
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