C’est le genre d’histoire méconnue et précieuse, le Graal dont rêve la plupart des réalisateurs : la vie de Raymond Maufrais, explorateur français jusqu’au boutiste et un peu naïf, disparu brutalement en pleine forêt amazonienne en tentant de relier Guyane et Brésil en solitaire, et dont un indien du cru retrouvera par miracle le carnet de notes. Ce dernier, confié à son père qui consacrera une bonne partie de sa vie à tenter de le retrouver, à coups de multiples expéditions désespérées.

Ce pitch puissant, qui aurait pu tout aussi bien mener au documentaire qu’à la fiction, Jeremy Banster en fait la toile de son premier film, La vie pure. Face à un paysage cinématographique français plutôt frileux et petit bourgeois, on ne peut que saluer immédiatement l’ambition de ce premier film, qui tente la synthèse du film historique et du film d’aventures survival, musique symphonique à la clef et tentation herzogienne au programme.

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Désamorçons la référence aguirrienne immédiatement : on reste ici dans les clous, et le film, dans sa grande majorité, n’échappe pas à la naphtaline que peine à masquer un manque de moyens, et à une direction d’acteurs parfois plus qu’hésitante (le père, notamment, en roue libre).

On pourrait sans hésiter pardonner cette tentation boutiquière (« faire vrai », à coup de costumes et décors cartons-pâtes) et les dialogues sursignifiants et explicatifs (« tu repars, comme lors de ton précédent voyage au Brésil »), si le film, au moins dans sa partie « présent », celle de la disparition, ne se contentait pas de n’être que ce qu’il dit plutôt que mettre en scène. On a retrouvé le carnet dans la jungle ? Je fais un plan sur un indien qui retrouve le carnet. Les parents souffrent ? Un plan sur le père qui souffre. C’est difficile ? On déchire les pages du carnet. « La disparition, c’est pire que la mort, on attend et on ne sait pas »…

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La faute sans doute à une double problématique : un argument si ambitieux qu’on pourrait le croire se suffire à lui-même, et une dualité sans doute difficilement conciliable.

Car il y a en fait bien deux films en un : celui du présent désespéré d’un père pour son fils disparu dont il est dommage qu’il faille attendre le générique final pour en comprendre les multiples expéditions (il y avait ici beau potentiel pour un film de deuil), et celui du fils, dont la lente déchéance occupe la deuxième moitié du récit.

Et chercher à concilier à tout prix les deux était sans doute une fausse piste, obligeant à d’absurdes allers retours temporels ou trucs vieillots comme une lecture assidue du journal à voix haute, pour un mariage entre les espaces qui n’arrive finalement jamais.

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D’autant plus rageant que si le film s’empêtre dans la médiocrité affligeante de son début, il ne peut lui être réduit. Après l’ombre, la lumière (relative, vu le propos) : La vie pure, bluette insupportable et naïve prend son véritable envol avec l’arrivée en solitude de Maufrais (et, en conséquence, au moment où les acteurs se taisent). S’ouvre alors son véritable propos, purement corporel et cinématographique.

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Finies les litanies, adios la musique : il s’agit alors de survivre, tout simplement, et c’est comme s’il fallait que le réalisateur fasse souffrir son personnage pour finir par lui faire enfin prendre chair, réduisant le spectre à des actions simples, dont les erreurs se payent immédiatement comptant. Manger, se blesser, pleurer. L’enfer vert pour Maufrais, qui enchaine les conneries à faire se suicider Bear Grylls dix fois, mais dont l’assèchement progressif du corps noueux de son interprète, le superbe Stany Coppet, impressionnant, finit par devenir douloureux et anxiogène même au spectateur, dans une logique purement performative du cinéma. Etonnante résurrection d’un film dont la mise en scène, enfin présente, finit par épouser le chemin de croix.

Pourquoi alors s’acharner malgré tout dans le sucre ? Pourquoi tartiner les bons moments passés à coups de surimpressions faciles des rêves disparus ? Pourquoi souler de musique alors que le son de la jungle était si puissant de solitude et de peur ?

On se prend alors à douter du bon goût du maitre d’œuvre, qui rate le coche en voulant sans doute faire un « grand » film. Quand il s’acharnait dans l’hyper présent de son héros, on lui pardonnait tout, même ses effets clipesques, même ce « truc », hyper efficace ici, de la caméra fixée au harnais tendance Requiem for a dream. Parce qu’il basculait enfin alors vers la sensation intime d’un héros dont on peine à saisir les motivations initiales, vers sa vie pure bafouée par le réel, vers son idéal réduit à une jambe purulente, transformant son cinéma d’histoires en cinéma de corps. Si le film n’avait été que ca, il aurait été sublime. Bien tenté, bien raté.

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A propos de Jean-Nicolas Schoeser

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