Jim Jarmush – "Only Lovers left alive"

Romantique et classieux, le dernier Jarmush charme, puis finit par lasser par son fétichisme visuel et son name-dropping récurrent. Il n’empêche qu’il agit encore après comme un sortilège entêtant, auquel on ne sait si on veut succomber ou échapper, à l’image de ces vampires attractifs et un peu vains.

Rocker dépressif, Adam vit caché dans un château-studio à Detroit, étonnant mélange d’archaïsme et de modernité : sa sonnette antédiluvienne  le relie directement à une caméra de télésurveillance dernier cri, un Revox enregistre ses compositions, son téléphone d’un autre temps est relié à une télé vintage, fournissant un néo Skype étonnant.  Longiligne créature tout de blanc vêtue, blafarde, le cheveu platine crêpé, Eve (magnétique Tilda Swinton) hante les ruelles de Tanger, quand elle ne se réfugie pas dans son capharnaüm de livres. Le film démarre  avec panache avec des plans à 360° d’un 45 tours tournant sur sa platine, recouvert en surimpression par Eve ondulant en musique dans sa chambre, puis l’image se recouvre de celle d’Adam oeuvrant dans son studio. Un grand plaisir de cinéma, tant et si bien qu’on soit accro à la mythologie du rock’n’roll, que Jarmush sait transmettre. Il nous fait partager avec talent la jouissance de ces vampires modernes quand ils boivent le sang sacré et qu’à trois reprise consécutives, la caméra remonte sur leurs corps basculant de volupté : Adam, Eve et un certain Christopher Marlowe, auteur jadis pillé et trahi par Shakespeare, aujourd’hui, « dealer » attitré d’Eve qu’il fournit en sang O négatif.  L’introduction donne l’eau à la bouche et promet un festin d’initié, plus gourmet que gourmand, où les mets triés sur le volet brilleront par leur rareté. Las ! le banquet vire un peu anorexique car si le buffet est bien dressé, il manque rapidement de consistance et se vide de substance.   A l’instar de la jolie fiole des dernières gouttes de sang comestible qu’offre Marlowe à ses amis assoiffés. Au bout de 45-60 minutes (le film dure deux heures), on en vient à rire un peu jaune du name-dropping effréné (nos deux vampires voyagent sous le nom de Daisy Buchanan et Stephen Dedalus ; affublé d’un badge « Dr.Faust », Adam se fournit en sang auprès du Docteur Watson ; Eve cite les errances d’Adam avec Shelley, Byron et ces «  connards de romantique français » …) et, surtout, des dialogues trop explicites : plusieurs fois, Adam et Eve affirment « vivre la nuit, dormir le jour », au cas où on ne l’aurait pas compris. L’intrigue prometteuse tourne court : les trois ont rêvé d’Ava, la jeune sœur fantasque d’Eve.  Elle va effectivement, venir troubler la quiétude des deux amoureux, réunis à Detroit. L’histoire piétine dès l’arrivée inopinée, de ce personnage un peu pâle, plus par manque d’épaisseur dramatique que d’hémoglobine.  Censée pimenter l’action, Ava la fait  tomber à plat. Les péripéties qui adviennent sont minces et prévisibles. Puis, le film reprend son rythme opiacé, enveloppant, mais plus comme un beau livres d’images dont on tournerait les pages distraitement qu’un conte envoutant.

 

Le comble de la frustration culmine quand, alors que Jarmush a auguré une aguichante métaphore de notre société éteinte, faite de zombies, dans laquelle Adam et Eve feraient figures de « survivor », derniers bohèmes authentique sur terre, il ne développe pas, se retrouvant prisonnier d’un cliché romantique, extrêmement séduisant visuellement, mais trop creux pour fasciner deux heures durant. Quel dommage d’autant que le charme opère au début, que ça soit les allusions d’Adam aux zombies qu’il fuit ou bien, quand il ironise  que c’est logique qu’Ava vive à LA., « capitale des zombies » La piste allégorique amorcée sur deux artistes, résistant à la norme, potentiellement les derniers héritiers d’une certaine aristocratie rock pour Adam, littéraire pour Eve ? (dont on ne sait rien, hormis qu’elle vit entourée de livres, sous les portraits de Shakespeare, Kafka, Burroughs, Marlowe….) tourne court.  D’aucuns pourront se contenter d’une joie d’esthètes en suivant les pérégrinations des deux âmes damnées entre Detroit et Tanger. D’autres, comme  l’auteur de ces lignes, pourront regretter que le propos soit éradiqué par les images; la piste des ennemis extérieurs, les zombies, pas poussée  plus avant.  Du reste, le hors-champ est si limité que le petit monde des deux héros finit par se replier sur lui-même à la façon d’Adam et patiner. Peut-être, est-ce ainsi que Jarmush envisage le dandysme ? Un univers clos et  égotiste.Autant Tilda Swinton est une vibrante Eve, autant Tom Hiddleston est un fade Adam.
Leur supposé amour à travers les âges reste bien théorique, peu incarné. Les deux tourtereaux prennent nettement plus corps quand ils s’abreuvent de verres de sang que quand ils font l’amour, nonobstant un très beau plan de leurs corps nus et enlacés. Reste un zéro faute pour le  choix  des décors, inspirants et inspirés, depuis les ruelles et le port de Tanger, jusqu’aux immeubles désaffectés de Detroit, en passant par son ex-théâtre reconverti en parking, une B.O au cordeau, avec notamment, Bill Laswell, Black Rebel Motorcycle Club, Charlie Feathers, White Hills…


Only Lovers left alive charmera ou divisera, suivant la foi qu’on accorde (ou pas) en l’image, -voire l’imagerie- rock et bohème. Adeptes du concept, vous risquez d’adouber la relation d’Adam et Eve que Jarmush revendique comme absolue.
Epris de dandysme (dans ce que l’appellation peut avoir de complexe et intense)  et cinéphiles exigeants, il se peut que vous soyez déçus par l’obstination du cinéaste à effleurer un sujet potentiellement affolant, sans l’approfondir. Quelle que soit votre réaction, rien que pour ce crédo en un idéal hors du temps, en la beauté visuelle, le film vaut le détour, même si l’idéal reste d’abord et avant tout, celui d’un esthète plus que d’un conteur.

 

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A propos de Xanaé BOVE

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