Romantique et classieux, le dernier Jarmush charme, puis finit par lasser par son fétichisme visuel et son name-dropping récurrent. Il n’empêche qu’il agit encore après comme un sortilège entêtant, auquel on ne sait si on veut succomber ou échapper, à l’image de ces vampires attractifs et un peu vains.
Rocker dépressif, Adam vit caché dans un château-studio à Detroit, étonnant mélange d’archaïsme et de modernité : sa sonnette antédiluvienne le relie directement à une caméra de télésurveillance dernier cri, un Revox enregistre ses compositions, son téléphone d’un autre temps est relié à une télé vintage, fournissant un néo Skype étonnant. Longiligne créature tout de blanc vêtue, blafarde, le cheveu platine crêpé, Eve (magnétique Tilda Swinton) hante les ruelles de Tanger, quand elle ne se réfugie pas dans son capharnaüm de livres. Le film démarre avec panache avec des plans à 360° d’un 45 tours tournant sur sa platine, recouvert en surimpression par Eve ondulant en musique dans sa chambre, puis l’image se recouvre de celle d’Adam oeuvrant dans son studio. Un grand plaisir de cinéma, tant et si bien qu’on soit accro à la mythologie du rock’n’roll, que Jarmush sait transmettre. Il nous fait partager avec talent la jouissance de ces vampires modernes quand ils boivent le sang sacré et qu’à trois reprise consécutives, la caméra remonte sur leurs corps basculant de volupté : Adam, Eve et un certain Christopher Marlowe, auteur jadis pillé et trahi par Shakespeare, aujourd’hui, « dealer » attitré d’Eve qu’il fournit en sang O négatif.
Le comble de la frustration culmine quand, alors que Jarmush a auguré une aguichante métaphore de notre société éteinte, faite de zombies, dans laquelle Adam et Eve feraient figures de « survivor », derniers bohèmes authentique sur terre, il ne développe pas, se retrouvant prisonnier d’un cliché romantique, extrêmement séduisant visuellement, mais trop creux pour fasciner deux heures durant.
Leur supposé amour à travers les âges reste bien théorique, peu incarné. Les deux tourtereaux prennent nettement plus corps quand ils s’abreuvent de verres de sang que quand ils font l’amour, nonobstant un très beau plan de leurs corps nus et enlacés. Reste un zéro faute pour le choix des décors, inspirants et inspirés, depuis les ruelles et le port de Tanger, jusqu’aux immeubles désaffectés de Detroit, en passant par son ex-théâtre reconverti en parking, une B.O au cordeau, avec notamment, Bill Laswell, Black Rebel Motorcycle Club, Charlie Feathers, White Hills…
Only Lovers left alive charmera ou divisera, suivant la foi qu’on accorde (ou pas) en l’image, -voire l’imagerie- rock et bohème. Adeptes du concept, vous risquez d’adouber la relation d’Adam et Eve que Jarmush revendique comme absolue.
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