Tandis que les usagers de la novlangue se masturbent la cervelle pour contourner la réalité du handicap, beaucoup de celles et ceux qui ont perdu l’usage de leur corps luttent pour en retrouver le contrôle. Revendiquant le droit à la sexualité, Antonio Centeno, écrivain et activiste, entend briser les tabous et inscrire son projet d’assistance sexuelle au cœur d’une action à volonté politique.
Sa rencontre avec le réalisateur Jo Sol autour d’un projet sur la transsexualité et l’identité inscrit Vivir y otras ficciones dans un questionnement plus général sur la marge et le droit de vivre. Le quotidien de l’écrivain tétraplégique croise alors celui de Pepe Rovira que le cinéaste avait suivi dans un précédent film : revenant à Barcelone après un long séjour en hôpital psychiatrique, le sexagénaire devient l’assistant d’Antonio.
À la manière de la série Strip tease, le film capte le mélange de proximité et de promiscuité qui teinte les relations singulières entre Antonio, son aide-soignante et Pepe. Soudain placé au cœur du propos, le corps tétraplégique, celui qu’il faut laver, habiller et manœuvrer, devient sujet de discorde et de malentendus dès lors que le projet d’Antonio aborde la sexualité. Les discussions conduisent très vite à une impasse qui illustre les non-dits d’une société qui n’entend pas. La venue d’une prostituée pleinement engagée dans l’action d’assistance sexuelle bouscule encore davantage les règles et conforte Antonio dans l’idée que la révolution passe désormais par le corps.
En proie à un abattement chronique, Pepe lutte contre ses démons (un fils revenu, la passion du flamenco, un renoncement général), tandis que le dynamisme d’Antonio brise les idées reçues et questionne sur l’essentiel : le plaisir des sens comme élan vital.
D’apparence documentaire, la forme déplace volontairement le curseur et brouille les repères. Jo Sol aborde les scènes d’échange sexuel avec une franchise qui sait montrer et dire sans fard tout en préservant la pudeur des protagonistes. De la même manière, le réalisme prévaut lorsqu’il filme les discussions entre Antonio et son aide-soignante, tandis que le personnage de Pepe semble évoluer dans un entre-deux moins identifiable. Entre l’ancrage dans une réalité de lutte et d’engagement, les rêveries et les envolées poétiques, Vivir y otras ficciones affiche une identité hybride qui matérialise le croisement de destins en tous points différents mais finalement convergents.
L’intérêt du film tient alors à la manière dont il questionne toutes les sexualités dans leur relation au monde. À jamais révolutionnaire quand celle du corps devient revendication, la notion de liberté se conjugue nécessairement avec l’instinct de vie. À la fois mélancolique et optimiste, Vivir y otras ficciones fait entendre une voix qui parle à tous.
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