John Cameron Mitchell – « How to talk to girls at parties? »

Il en va des films, comme de certaines maisonnées : on a envie d’y habiter ou, du moins, d’y séjourner. Des lieux qu’on quitte à regret quand, forcés par le couperet du générique de fin, la salle se rallume et nos rêves s’éteignent. Provisoirement, car on sort enchanté par How to talk to girls at parties?  Pénétrer dans une maison, y découvrir un univers qui nous charme même –surtout ! – quand il appartient à une autre galaxie… Fascinés nous sommes, à l’instar du jeune héros, Enn et de ses deux acolytes, à la recherche d’une soirée inoubliable et qui vont tomber sur une curieuse cérémonie dans une drôle de demeure dont les habitants les transformeront à jamais.

Ou encore, comment en 1977, trois lycéens de la banlieue londonienne, Croydon, atterrissent dans un squat d’extra-terrestres alors qu’ils comptent s’incruster à l’after party punk de la manageuse Bodicea (Nicole Kidman au royaume du troisième degré). Happés par un genre de musique des sphères, un krautrock inclassable que l’un d’eux n’aura de cesse de traquer chez les disquaires. Lors de cette soirée, parmi les six colonies de créatures parées de latex flashy, Enn (sensible Alex Sharp ) flashe sur la diaphane Zan (délicieuse Elle Fanning) qui succombe, elle aussi. Premier baiser, elle lui vomit dessus : very punk !

La suite est un merveilleux kaléidoscope de fantasmes où les aliens drogués et androgynes du très underground Liquid Sky de Slava Tsukerman * croiseraient les héros déjantés du Jubilee de Derek Jarman**  (c’est précisément l’année du Jubilée de la reine que l’action se situe et il est cité à plusieurs reprises). On pense aussi à Michaël Clark et ses ballets iconoclastes ***
Un Londres punk qu’on redécouvre comme un coffre à jouets, une malle au trésors que Mitchell ouvre en s’amusant à mélanger les trouvailles, les détourner, nous donnant une revisitation fantasmée, bigger than life d’une époque qu’il a somme toute, peu vécue de l’intérieur (il avait 13 ans en 1977, un père général et fréquentait une école catho !)
Sur la transposition de ses fantasmes et l’aspect réaliste des années punk, voilà ce que dit J.C Mitchell : «Le punk a besoin de s’autodétruire, afin que quelque chose de nouveau puisse prendre la place», a dit Malcolm McLaren [crapule géniale, manager historique des Sex Pistols et visionnaire qui a prédit la prédominance mondiale du hip-hop]. Selon moi, il y a la reconstitution et il y a la procréation. Je penche plutôt pour la seconde option (il rit). Pour moi, donner autant de crédit à la restitution d’une période, c’est trop control freak, macho. Alors oui, j’ai entendu les cris : «Ce n’était sûrement pas comme ça !» Tant mieux ! Je voulais surtout que ce soit ma première romance pour ados d’aujourd’hui, mais également pour l’ado en moi.


How to talk To Girls... est une adaptation d’une bande dessinée du génial Neil Gaiman, autant auteur de romans graphiques (fabuleuses collaborations avec Dave Mc Kean) que de littérature jeunesse (le génial Coraline). Traduit dans plus de trente langues et dont plusieurs oeuvres ont été portées à l’écran : Stardust, le mystère de l’étoile, American Gods…  Rappelons que Neil Gaiman, dans son fusionnement de son érudition, de son plaisir du divertissement et de son sens de la subversion socio-politique appartient à la même mouvance qu’un Alan Moore. Aussi n’est-il pas exclu de voir en ces colonies extra-terrestres – nouveaux Saturne – qui mangent leurs enfants, la figure d’une éducation anglaise oppressante, et d’une Angleterre préparant l’avènement de Thatcher en étouffant ses rejetons.
Récit autobiographique de la jeunesse de Neil Gaiman à Croydwon, banlieue sud de Londres en 1977, How to talk part du postulat hilarant et judicieux que tenter de brancher une fille à cet âge-là équivaut à essayer de communiquer avec un extra-terrestre ! Dans son roman graphique, les trois jeunes aspirants punk, tombent sans le savoir sur une tribu d’un autre monde. Attirés par un son qui n’existe pas…
John Cameron Mitchell a notamment travaillé avec les singuliers musiciens de Matmos pour qu’ils créent des boucles hypnotiques inspirées du krautrock et des rythmes qui ne sonnent pas trop électro : plutôt le son de Can que celui d’une machine.
Les costumes et décors convient le style marquise punk de Vivienne Westwood dont Kidman serait une sorte de relecture humoristique, également l’esthétique d’une égérie punk transformiste : l’incroyable Leigh Bowery **** et la patte inspirée de Mr. Mitchell, lui-même, grand alchimiste.
Parlons un peu d’incarnation –même si ce terme peut paraître anachronique- pour décrire un tout jeune homme en devenir : Enn, une extra-terrestre en transit(ion) : Zan (d’ailleurs, leurs prénoms sont des abréviations –Enn pour Henry et Zan pour Zandra- comme renvoyant à cette gestation) et Bodicea ( Nicole Kidman) entre créature pro(ie) de la chirurgie esthétique et gourou musical.


Du reste, l’actrice australienne a le cran et le culot de jouer sur son physique, affirmant : « Jeune, j’étais très jolie » ou « Aujourd’hui, on n’aime que les jeunes » et de s’extasier sur la peau de lait de Zan et Enn. John Cameron Mitchell joue intelligemment du physique de ses acteurs : il met en valeur le long cou de cygne d’Elle Fanning, ses yeux immenses, sa beauté quasi inhumaine (ou plutôt, sur-humaine). A ses côtés, Alex Sharp ne dépareille pas, avec son physique de rock star qui évoque un mix entre les frères Reid de Jesus & Mary Chain et de Jamie Hince (des Kills). Enfin, J C Mitchell auréole Kidman de références : non seulement, son look SM de luxe convoque la styliste britannique Vivien Westwood, tout le cinéma underground (hello Derek Jarman, Slava Tsukerman !) mais on a également la jubilatoire impression de voir une post Grace Kelly qui aurait fusionné avec Edith Massey ou une autre héroïne de John Waters, figure tutélaire de Mitchell depuis ses débuts cinématographiques.

Evolue ou meurs ! telle est l’injonction de Bodicea. Et c’est ce que fait le réalisateur en jouant avec ses amours de jeunesse : trahir pour mieux traduire, en transformant et malaxant l’ère du punk, des new romantics, tout un pan de la contre-culture à qu’il rend hommage de façon joyeusement irrévérencieuse. Mais Mitchell infuse également avec une bonne dose de mélancolie, une capacité à retranscrire le mal être de la jeunesse d’autant plus bouleversante qu’elle s’installe dans la légèreté et la douceur.
Il dresse un pont grisant entre les générations, proposant aux nouvelles de s’ouvrir à l’insoumission, à la rébellion. How to talk… est euphorisant car il est un acte de foi en notre capacité à nous enthousiasmer, à nous réinventer. Ce film est un appel pour continuer à creuser deep deep underground et non un bilan nostalgique et figé.
Un acte d’amour qui vous fait renouer avec votre âme poétique et intransigeante d’adolescent. How to talk … est une histoire d’amour qui durera peut-être 48 heures ou 102 minutes, mais vous poursuivra comme l’entêtante mélodie que traque le jeune punk, sans jamais la trouver, ni pouvoir s’arrêter de la fredonner.

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* Liquid Sky de Slava Stukerman est un film américain punk de science fiction, sorti en 1982 et immédiatement culte. En voici le résumé : Margaret, mannequin junkie à New York en plein coeur du courant New Wave, vit en concubinage homosexuel à East Village avec Adrian, performeuse electro aux portes du succès international dans ses rêves et petite dealeuse hargneuse dans la réalité. Jimmy (même interprète que pour Margaret) est le pendant masculin, androgyne et rival de Margaret, se souciant uniquement de sa prochaine dose. A cette belle brochette de marginaux s’ajoutent la mère de Jimmy, ancienne séductrice rongée par la frustration à l’automne de ses charmes et le dernier objet de son désir, un scientifique est-allemand, venu dans le but d’étudier un phénomène pour le moins étonnant : une forme de vie extra-terrestre représentée par une micro soucoupe volante s’est posée sur le toit du loft d’Adrian et Margaret afin de faire le plein d’héroïne et d’endomorphine sécrétée par le cerveau humain pendant l’orgasme. Les morts mystérieuses ne vont pas tarder à s’accumuler…

** Jubilee du cinéaste Derek Jarman (avec qui Tilda Swinton débuta) est un film culte, sorti en 1977 en pleine explosion punk. Son postulat narratif est le suivant : la reine Élisabeth 1ère est envoyée dans le futur par l’occultiste John Dee . Elle débarque dans l’ Angleterre tumultueuse de la fin des années 1970. Elle évolue dans le décor d’une ville en pleine décadence sociale et matérielle, en observant les agissements d’une bande de nihilistes, Amyl Nitrate, Bod, Chaos , Crabs et Mad.  Tous les rôles sont interprétés par la fine fleur punk de l’époque : Adam and the Ants, Jenny Runacre…

*** Michaël Clark est un danseur et chorégraphe anglais, en activité depuis début 1980. Il a notamment travaillé avec le musicien Mark E.Smith du group punk The Fall, l’extravagant performer Leigh Bowery, mis en scène un défilé d’Alexander Mac Queen. Résolument postmoderne, il est souvent qualifié d’artiste « queer post-punk »
https://www.youtube.com/watch?v=jrbdzPk2Xi0

**** Leigh Bowery fut un performeur, styliste et créateur de clubs australien, basé à Londres et New York. Il est considéré comme une figure majeure de l’art et de la mode dans années 1980 et 1990 à Londres et New York, influençant toute une génération de designers et stylistes. De nombreux artistes revendiquent son influence avant-gardiste jusqu’à aujourd’hui, parmi lesquels Alexander McQueen, Lucian Freud,Vivienne Westwood, Boy George, Antony and the Johnsons, Lady Gaga, John Galliano, the Scissor Sisters, David LaChapelle, Lady Bunny… Il a d’ailleurs créé des costumes et décors pour certains ballets de Michaël Clark. Charles Atlas qui a aussi filmé le travail de Michaël Clark, a réalisé un beau portrait de Leigh Bowery.
https://www.youtube.com/watch?v=om0MrCOXPcE

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A propos de Xanaé BOVE

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