Tout récit d’apprentissage implique la transformation du sujet au gré des événements auxquels il se confronte. Dans sa volonté de grandir, prenant pour modèles ceux qui ont atteint l’âge adulte, voulant prouver à tous qu’il mérite la confiance de ses pairs, l’être en devenir cherche à prendre une place qui n’existe pas. Si personne ne veut de lui, il met toute son énergie à se rendre indispensable.
Jonas Carpignano a rencontré la famille Amato en 2011. Il a associé le jeune Pio à de nombreux projets, lui offrant également un rôle dans son précédent long métrage Mediterranea. Après avoir suivi le parcours de deux migrants, le cinéaste souhaite évoquer le rôle que jouent les Roms de la Ciambra, quartier de Gioia Tauro, commune de Calabre presque perdue au sud de l’Italie. Le personnage qu’il écrit pour Pio lui permet d’évoquer deux communautés : alors que les Gitans considèrent les Africains comme des moins que rien, le parcours de l’adolescent crée un lien fragile mais tangible entre deux groupes marginaux.
Toujours actif, Pio choisit d’agir pour avancer. La caméra l’accompagne dans ses moindres mouvements et privilégie une approche factuelle de son cheminement. Secret mais vif, toujours aux aguets, semblant réfléchir aussi rapidement qu’il passe aux actes, il prend des risques dont il ne mesure pas forcément les conséquences. Quand son frère aîné se retrouve en prison, se sentant soudain responsable de toute la famille, Pio entreprend de gagner l’argent nécessaire à sa survie : il vole, trafique et rançonne.
L’enjeu dramatique et quasi romanesque du film provient de la relation qui s’installe progressivement entre l’adolescent et Ayiva, un migrant Burkinabé vaguement ami avec son frère. Le lien naît de la différence d’âge, l’instinct protecteur de l’aîné et le besoin du cadet de trouver un guide instaurant un climat de confiance jusqu’alors inconnu de Pio. Cette fraternité inédite permet au garçon de sortir littéralement du seul univers qu’il connaisse. A Ciambra puise dans le réel la matière d’un récit de fiction qui le donne à voir tout en le transformant. Alors que les comédiens amateurs nourrissent la narration de leurs expériences, le cinéaste leur offre la liberté du jeu.
L’action se déroule principalement de nuit. La mise en scène morcelle la topographie et crée un lien discontinu entre les différents lieux fréquentés par Pio. Si quelques plans larges rendent compte de la configuration du quartier, la caméra ne montre le plus souvent que des fractions d’espace : la cuisine, la rue de terre séparant les bâtiments, les camps de migrants, l’habitacle d’une voiture, un wagon, un quai de gare, un bout de place. Le film épouse alors la vision parcellaire du monde qui s’ouvre à Pio. Ne restant jamais longtemps dans un même endroit, passant sans cesse de l’un à l’autre, se cachant, épiant ou fuyant, l’adolescent retrouve le nomadisme de ses ancêtres circonscrit à l’échelle de la ville.
La vivacité avec laquelle Pio Amato se meut sous le regard du cinéaste, la profondeur de son jeu et l’expressivité dont il fait preuve apportent au film une richesse indéniable. Jonas Carpignano fait partager le message d’espoir qu’il entrevoit dans la relation entre Pio et Ayiva. Pour lui, et même si l’adolescent fait finalement l’expérience de la trahison, A Ciambra véhicule l’idée que tout reste possible.
© Tous droits réservés. Culturopoing.com est un site intégralement bénévole (Association de loi 1901) et respecte les droits d’auteur, dans le respect du travail des artistes que nous cherchons à valoriser. Les photos visibles sur le site ne sont là qu’à titre illustratif, non dans un but d’exploitation commerciale et ne sont pas la propriété de Culturopoing. Néanmoins, si une photographie avait malgré tout échappé à notre contrôle, elle sera de fait enlevée immédiatement. Nous comptons sur la bienveillance et vigilance de chaque lecteur – anonyme, distributeur, attaché de presse, artiste, photographe.
Merci de contacter Bruno Piszczorowicz (lebornu@hotmail.com) ou Olivier Rossignot (culturopoingcinema@gmail.com).