Alors que l’été bat son plein et que les comédies familiales au scénario rebattu envahissent immanquablement le paysage cinématographique, Eva en août constitue cette semaine une très jolie surprise. Le spectateur y suit une trentenaire, Eva, qui a décidé de rester à Madrid pendant l’été quand ses habitants, eux, désertent la capitale pour fuir la chaleur. Le film emprunte la forme d’une chronique ou d’un journal et montre l’héroïne dans ses déambulations quotidiennes et ses rencontres de hasard. La torpeur madrilène, l’indolence de l’héroïne, la frivolité des estivants contribuent à instiller au sein du film une atmosphère d’une grande légèreté. Déroulant un récit épuré qui fuit le mélodrame autant que le rire trop franc, le réalisateur Jonás Trueba et sa co-scénariste Istaso Arana, également actrice principale du film, parviennent à retranscrire avec une grande justesse et une belle sensibilité les doutes d’une héroïne comme égarée, en quête d’elle-même.
Loin d’opter pour l’évasion ou la fuite, le personnage d’Eva fait un choix a priori contre-intuitif, celui de rester dans la ville qui l’a vue naître et grandir. Non pas partir pour se retrouver, mais s’ancrer pour enfin comprendre qui l’on est. Le réalisateur dit avoir envisagé son film comme « un dialogue entre Eva et la ville ». L’héroïne la regarde « comme une ville étrangère, comme si c’était la première fois qu’elle la voyait… ». En emménageant temporairement dans un nouvel appartement, Eva redécouvre Madrid et entame un voyage immobile. La ville prend alors l’aspect d’un lieu fascinant, où tout peut arriver. Les processions religieuses du mois d’août, les festivals, les bals populaires font revivre le temps d’une journée des traditions qui arrachent le personnage du cours normal des jours pour l’inviter à un périple spirituel et intime. La ville se pare alors d’atours exotiques voire magiques et devient un espace enchanté, qui recèle toujours de l’inconnu. Le titre original du film – La virgen de agosto – ainsi que l’affiche, dont le design n’est pas sans rappeler les icônes byzantines, témoignent de cet aspect merveilleux du film.
Traversée par la ville, flottant dans l’espace urbain, l’héroïne dérive doucement. C’est en s’autorisant à laisser arriver les choses, en acceptant ses incertitudes et son étrangeté qu’Eva parvient à avancer. Comme prise dans une dynamique centrifuge, le personnage se décentre et va vers les autres pour finalement mieux se (re)trouver. Les liens amicaux distendus, les déceptions amoureuses, les relations avortées, les retrouvailles hasardeuses mais aussi de nouvelles rencontres permettent à Eva de se construire, sans toutefois apporter de résolution franche. Le film de Jonás Trueba pose ainsi plus de questions qu’il ne donne de réponses, et place en son coeur la problématique de l’impermanence de l’être.
La destinée du personnage fait immédiatement songer au Rayon vert, référence incontournable du film. Jonás Trueba avoue d’ailleurs avoir souhaité « dialoguer avec le film de Rohmer » et avoir voulu « faire le film contraire ». Si dans Le Rayon vert, Marie Rivière incarne en effet une jeune femme qui cherche absolument à partir en vacances, Eva, elle, refuse de quitter Madrid pendant l’été. Mais l’issue du film, qui lorgne vers le fantastique et empreinte la forme du conte, n’est pas la seule référence à l’univers rohmerien. Dans la manière alerte de conduire le récit, rythmé par des cartons égrenant la date, dans la relative brièveté des séquences, dans l’aspect apparemment anodin des événements racontés, dans la distance bienveillante avec laquelle est filmé le personnage, dans le choix de s’attacher à un pur présent, le spectateur reconnaît des caractéristiques propres aux Contes des quatre saisons. L’écriture d’Eva en août s’éloigne pourtant des films de Rohmer souvent bavards : ici, la parole est intermittente, les dialogues plus épars. Le regard porté sur l’héroïne, au tempérament très secret, s’éloigne aussi de l’univers d’Éric Rohmer. Eva en août est en effet teinté d’un féminisme délicat, sorte de basse continue d’un film dont la séquence d’ouverture rend un hommage indirect aux héroïnes insoumises des comédies américaines des années 30.
Avec Istaso Arana, Voti Sanz, Isabelle Stoffel
2h09
Drame
Titre original : La virgen de agosto
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