L’ existence est soumise à la répétition, à la reprise de chemins déjà parcourus plusieurs fois. Mais en réalité, la répétition est-elle possible ? Cette question, abordée par Kierkegaard dans son ouvrage La Répétition , est reprise avec drôlerie et finesse par Jonas Trueba dans ce dernier film, merveilleux. Septembre sans attendre repose sur une idée- l’annonce d’une fête de séparation – qui est répétée de manière littérale tout au long du film sans que soit exprimé pour autant le motif de cette séparation. Le cinéaste déjoue ainsi toute convention réaliste et fait résonner d’emblée son film avec les comédies romantiques classiques.
Après 14 ans de vie commune, Alejandra (Itsaso Arana) et Alex (Vito Sanz) – leurs noms jumeaux suggèrent avec une tendre ironie leur lien – décident donc d’organiser une fête pour célébrer leur séparation.
©Arizona distribution
Si cette annonce laisse leurs proches perplexes, le couple semble certain de sa décision : ils se séparent mais » tout va bien ». Alejandra et Alex se connaissent par cœur. Et dès le début, le cinéaste introduit au sein de la répétition une variation . La routine affectueuse du couple doit à présent être repensée : qui fait le café, qui travaille dans le salon, comment se répartir les cours d’anglais qu’ils donnaient avant ensemble ? Le montage d’ailleurs vient inscrire cette « séparation » des tâches et de l’occupation de l’espace à travers le split screen et les changements d’axe. Les personnages multiplient l’invitation à leur fête de séparation mais ils semblent chercher dans la répétition de cette annonce la confirmation que leur choix est le bon. Seconde variation pleine de finesse de la part du cinéaste qui laisse ainsi ressentir le vertige que produit une décision pourtant en apparence sans appel. Le couple en effet répète les choses presque toujours avec les mêmes mots mais les réactions de ceux qui les écoutent varient, diffèrent. Certains trouvent que fêter une séparation plutôt est osé, d’autres les prennent pour des fous en pensant qu’il s’agit d’une fantaisie, enfin, il y a ceux qui n’y croient pas.
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Subrepticement, Alejandra et Alex, semblent alors perdre leurs certitudes. D’ailleurs alors que l’idée initiale d’une fête de séparation vient du père d’Alejandra (Fernando Trueba, le père du cinéaste), celui-ci la trouve absurde, et va même jusqu’à donner à sa fille trois livres dont celui de Cavell À la recherche du bonheur. Double ironie qui crée d’autant plus le trouble. Non seulement Cavell est le philosophe de la comédie de remariage, mais il est aussi celui pour qui l’amour se construit par la discussion : préparer une fête de séparation , ne serait-il pas alors simplement un moyen de faire quelque chose encore ensemble ? Cette très belle figure du père est celle de la transmission. Mais cette transmission n’est pas familiale, elle est philosophique : elle tend à questionner et à inviter au dialogue. Le père est un passeur , et d’ailleurs « à quoi sert un père si ce n’est pas pour donner une bibliographie ?» ( 1). Encore une fois ici, la convocation d’auteurs, qu’ils soient écrivains ou cinéastes, par Jonas Trueba, n’est absolument pas une posture. Le cinéaste donne simplement à voir des livres comme des paysages, fait entendre des mots comme les sons d’une rivière ou du vent. L’idée est de travailler avec des artistes qui sont des proches, des complices. Là se tient aussi la beauté de son cinéma. Alejandra est d’ailleurs en train de monter le même film que celui que nous voyons. La vie et le film s’entremêlent car l’histoire se rejoue encore et toujours, une façon pour Trueba d’affirmer avec l’élégance qui est la sienne combien le cinéma nous « rend meilleur » (2) même si la porosité entre le travail, la vie et l’amour compliquent joyeusement et tragiquement les rapports amoureux.
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Annoncer cette fête de séparation, c’est aussi pour les personnages accepter de se séparer dans un beau moment. Répéter sans fin leur séparation, renoncer à faire couple , c’est peut-être conserver intacte la sensation de l’amour et rester des amants éternels car « l’amour de la répétition est en vérité le seul heureux car il ne présente pas l’inquiétude de l’espoir ni l’angoisse de l’aventure et de la découverte, pas plus que la mélancolie du ressouvenir ; il a la sainte assurance de l’instant présent. » (3). En témoigne peut-être cette séquence ténue mais bouleversante où les deux personnages regardent, l’un à côté de l’autre, les images de leur voyage à Paris, à la recherche de la tombe de Truffaut, où le couple renaît là sous leurs yeux, où l’amour est relancé, repris.
Comme si Trueba étudiait de film en film le cheminement des mêmes vies, à la manière d’une chronique intime, il utilise à nouveau Itsaso Arana et Vito Sanz déjà couple à l’écran dans Eva en août et Venez voir. Son titre original de Septembre sans attendre, Volveréis, (« vous reviendrez ») nous invite avec douceur à attendre le retour de leur complicité, et avec elle le retour d’un des cinéastes aujourd’hui les plus réjouissants. D’ici là attendons le 28 Août sans attendre!
(1). Jonas Trueba
(2). Cavell
(3)Kierkegaard, La Répétition.
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