Si, à en croire les réseaux sociaux et certains micros-trottoirs, Donjons et Dragons a conquis le cœur et l’esprit des exégètes du jeu de rôle dont le film s’inspire. Il n’est pas utile de connaître les règles et d’être familiarisé avec l’univers fantaisiste proposé pour prendre un réel plaisir à suivre le récit rocambolesque d’Edgin et Holga, aidés par quelques figures fantasques dans leur quête.
La clarté narrative du prologue, nous épargnant l’assommante voix off de circonstance, reprenant le principe amusé et distancié du remarquable Princess Bride de Rob Reiner, pose les jalons d’une histoire classique avec beaucoup de malice, récit semé d’embûches et peuplés de nombreux personnages. De quoi faire oublier en un temps record la version ridicule mais (involontairement) drôle de Courtney Salomon de 1999 avec un Jeremy Irons délicieusement grotesque.
Le ménestrel Edgin, voleur de grands chemins, et la guerrière barbare Holga sont emprisonnés dans une forteresse imposante et bien gardée. Après deux ans de captivité, trahis par leur ex-complice Forge (Hugh Grant, en roue libre), ils s’évadent grâce à un homme-oiseau maladroit. Ils s’associent avec Simon, magicien novice, et Doric, druidesse métamorphe, afin de retrouver une relique perdue qui pourrait ramener à la vie l’épouse défunte d’Edgin. Ce dernier doit aussi récupérer sa fille dont le tueur n’est autre Forge, devenu seigneur de la cité Padhiver. Pour parfaire son pouvoir inique, Forge s’est entouré de Sofina, puissante mage rouge au service du maléfique Szass Tam.
Néanmoins, après une ouverture échevelée, le film a du mal à trouver son rythme de croisière durant les trente premières minutes. Mais, passée la mise en place qui manque de souffle, Donjons et Dragons prend son envol dès lors que les auteurs assument pleinement l’enjeu simpliste mais noble de leur projet : la volonté de renouer avec un cinéma d’aventure désuet, enjoué et espiègle. Conscient des risques encourus avec un tel matériau, le duo de réalisateurs évite intelligemment deux gros écueils : le sérieux pontifiant des puddings d’heroic fantasy dont on taira les titres pour n’offusquer personne et la gaudriole parodique teintée de beauferie à la Marvel. Les amateurs friands de bondieuseries boursouflées d’une philosophie de comptoir sur le Bien et le Mal ou de gags débiles et régressifs à la Thor peuvent passer leur chemin et nous laisser en (bonne) compagnie avec Edgin et ses comparses pour un voyage aussi ludique que surprenant, toujours à bonne distance, entre l’odyssée pleine de rebondissements et la dérision permanente mais finement amenée.
Derrière la caméra et à l’écriture, Jonathan Goldstein et John Francis Daley confirment tout le bien que l’on pensait d’eux depuis l’épatant Games of Night, comédie conceptuelle complètement azimutée autour des jeux de plateau. Donjons et Dragons n’est donc pas un produit cynique confié à des yes men mais à de consciencieux « gamers » passionnés et totalement investis. A l’écran, cette implication se ressent ; une atmosphère bon enfant règne en maîtresse, ainsi qu’une connivence constante entre les personnages et les spectateurs. L’ensemble est souvent grisant, constamment rehaussé par des morceaux de bravoure inventifs avec, en vrac, une délirante excursion dans un cimetière avec un interrogatoire de morts-vivants, une diversion cartoonesque jouant sur la durée ou encore une hallucinante virée dans une grotte où un dragon dodu poursuit maladroitement nos héros. Par de petits détails insignifiants caractérisant leur présence, les personnages ne sont pas des coquilles vides mais des figures très attachantes, entre Edgin, toujours accompagné de son luth en bandoulière quand il ne chante pas, et Holga, qui manie la patate comme personne, en passant par Xenk Yendar, ce valeureux chevalier si parfait qu’il ne comprend absolument pas le second degré, ce qui nous vaut quelques répliques hilarantes. Le duo Chris Pine – Michelle Rodriguez, pourtant archétypal, fonctionne plutôt bien malgré les limites évidentes des deux comédiens.
Ce divertissement élégant, mis en scène avec sobriété, qui ne cherche jamais à être autre chose que ce qu’il est, nous régale aussi d’un bestiaire fascinant, mélange d’animatroniques et d’effets numériques, hommage à peine voilé aux créatures de Jim Henson. La référence au père des Muppets n’a finalement rien de superflu tant Donjons et Dragons ravive une certaine idée de la fantasy à l’ancienne, de L’Histoire sans fin au Dragon du Lac du Feu en passant par Princess Bride cité plus haut. Et comme il se greffe une pincée discrète d’humour absurde dans la tradition des Monty Pythons, pourquoi bouder son plaisir à suivre ces aventures loufoques et pleines de charme ?
Pas toujours au niveau des modèles cités, bourré de défauts pardonnables (photographie assez terne, quelques scènes d’action au découpage approximatif), ce blockbuster décalé s’impose comme l’une des meilleures surprises venues d’Hollywood depuis un moment. Et par les temps qui courent, ce n’est pas si fréquent.
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