Get Out débarque sur les écrans Français précédé d’un succès colossal aux Etats-Unis – plus de 170 millions de dollars de recettes pour un budget de seulement 4,5 millions – soit le plus important pour un film d’horreur sur la période des années 2000. Quelques semaines après Split, on retrouve à la production le désormais incontournable Jason Blum, en passe – si ce n’est déjà fait – de s’imposer comme le digne héritier de Roger Corman. Le prolifique producteur spécialisé dans le cinéma d’horreur low-cost, mis en lumière avec le carton surprise de Paranormal Activity en 2009, s’est progressivement affranchi de l’image première du simple businessman malin et opportuniste. Sa société Blumhouse Productions a en effet produit plus de 30 films sur les dix dernières années et des cinéastes tels que James Wan (Insidious 1 & 2), Rob Zombie (The Lords of Salem), Barry Levinson (The Bay), Damien Chazelle (Whiplash), Eli Roth (The Green Inferno), ou encore ce qui constitue peut-être sa plus belle prise : M.Night Shyamalan, revenu sur le devant de la scène avec ses deux derniers opus.

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Le profil du réalisateur de Get Out est atypique : il s’agit du premier film de Jordan Peele, moitié du duo humoristique vedette de l’excellente série à sketch, Key and Peele, a priori pas tellement attendu du coté du thriller horrifique pour son passage à la réalisation. L’argument de départ – assez simple – pourrait tout aussi bien être celui d’une comédie : Chris, un afro-Américain et sa petite amie, Rose, forment un couple mixte parfaitement épanoui. Ils partent en week-end pour rencontrer Missy et Dean, les parents de Rose sur leur domaine dans le nord de l’État, Chris a peur que sa couleur de peau soit un problème… Un simple slasher sur fond de conflits raciaux ? Pas exactement, si Jordan Peele se saisit habilement des codes du genre, il les confronte à une vision satirique qui donne au film une tonalité particulière. L’introduction – indépendante du récit – est déjà pleine d’ironie : on découvre un jeune Afro-Américain paumé dans un quartier manifestement aisé où le calme apparent est davantage vecteur d’inquiétude que de sureté. Elle traduit immédiatement une volonté de retourner les clichés pour les démonter par l’absurde. Ainsi Chris n’est pas accueilli par sa belle-famille dans la défiance mais au contraire une bienveillance excessive, aussi étrange que gênante : son beau-père ne manque pas de lui dire que s’il avait pu il aurait voté pour Barack Obama une troisième fois ou de s’excuser de l’image qu’il peut renvoyer en ayant deux domestiques noirs à son service. Ces allusions témoignent d’une forme de racisme ordinaire ancré dans les moeurs alors même qu’elles voudraient balayer tous soupçons de pensées nauséabondes. La distribution des piques ne s’effectue pas pour autant à sens unique, le héros n’est pas ménagé non plus : par exemple à peine rencontre t-il un autre Afro-Américain lors d’une réception qu’il cherche à tisser des liens sur un mode « Good to see you brother », illustrant un réflexe communautaire fruit d’une idée reçue semblable aux préjugés qu’il s’attend à subir. Parallèlement à ces signaux supposément rassurants, Chris constate de curieux phénomènes qui renforcent progressivement ses appréhensions et font germer en lui l’idée qu’il se trame quelque chose d’angoissant…

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Grâce à une réalisation sobre – découpage simple, limitation des effets attendus type Jumpscare, quasiment aucun recours aux effets spéciaux – et un montage impressionnant de maitrise, le réalisateur installe une tension s’inscrivant dans un cadre totalement réaliste qui doit aussi beaucoup à la qualité des interprètes, excellents. Totalement premier degré dans son approche, le film n’hésite pas dans le même temps à flirter volontairement avec la parodie, cette frontière ténue contribue à lui donner une identité singulière. La terreur s’accompagne toujours d’un humour grinçant, cette alchimie inattendue génère des sensations étonnantes : soit la dérision vient désamorcer la frayeur potentielle – sans dissiper entièrement le malaise – soit à l’inverse, la légèreté de l’instant démultiplie l’angoisse. Les ruptures de tons nourrissent ainsi le suspense : Chris est-il paranoïaque ? Si non, que peut-il alors bien se passer dans cette propriété paisible ? L’équilibre entre les deux caps est maintenu jusqu’à une dernière demi-heure qui tranche plus franchement dans une direction précise et potentiellement déroutante – qu’on se gardera de révéler-, celle-ci pourtant vient mettre en lumière la vraie thématique sous-jacente du film. Dans Get Out le fond est constamment indissociable de la forme, la satire est un moyen fort de ramener l’horreur à une dimension politique qui évoque le cinéma de John Carpenter. La modernité du film est d’observer l’évolution insidieuse des tensions raciales vers un apaisement de façade qui camoufle une forme de fascination vampirique des populations blanches vis-à-vis des populations noires, révélant une peur qui a changé de camp, à la fois absurde, risible et effrayante. En définitive plus que de racisme à proprement parler, Jordan Peele aborde frontalement la notion de « white-washing », qu’on se plaira à définir en citant Harmony Korine, lequel concédait volontiers à la sortie de son génial Spring Breakers que s’il y avait une forme de dénonciation dans son film elle était à chercher de ce côté-là : « le hold up pratiqué par la culture blanche sur la culture noire ». Un état des lieux corrosif et plein d’ironie en rapport aux années passées à courber l’échine à des fins d’intégration de la part des Afros-Américains qui plutôt que de rassurer leurs compatriotes blancs ont à l’inverse fait naitre chez eux l’inquiétude d’une possible disparition.

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Amusant, réflexif et efficace, Get Out est un premier essai malin qui porte autant la marque du passé d’humoriste de son réalisateur qu’une affection palpable pour le genre investi. Question certainement futile mais qu’il est néanmoins permis de se poser quant la suite de la carrière de Jordan Peele en tant que réalisateur : cette incursion dans le cinéma de genre est-elle amenée à durer ou est-elle simplement conjoncturelle ?

 

 

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