Jorge Riquelme Serrano – « Algunas Bestias »

Algunas Bestias est un miroir, un portrait de la société chilienne. C’est un film douloureux, naturaliste et urgent, qui s’attache à faire réfléchir le public, d’une manière franche et douloureuse. […] Je voulais que l’abus marque transversalement toute l’histoire, comme une espèce de symptôme social dont souffre la société chilienne. On le voit actuellement, il y a un réveil social après des années d’abus. C’est ce sentiment de vivre dans un pays très injuste, abusif sur tous les plans, très inégal, qui, avec une rage accumulée a éclaté en octobre 2019. Il me semblait urgent d’en parler parce que lorsque je regardais les nouvelles, je discutais avec les gens, j’avais la sensation que dans ce pays prospère, avec une précarité interne, une poubelle était cachée sous un tapis très lourd.

Jorge Riquelme Serrano

Comme pour capturer d’un seul geste son vaste et unique décor, le film s’ouvre en plongée zénithale sur une île perdue en plein océan. Un bateau vient volontairement s’y échouer. Toute une famille, trois générations ont apparemment décider d’y séjourner. On comprend vite qu’ils sont sur leur terre, dans leur maison, entretenue et gardée par un employé pendant leur absence. Les tensions ne se font pas attendre, elles sont là depuis des années. Sourires pincés et regards dédaigneux. Le patriarche et sa femme ne se donnent pas toujours la peine de dissimuler leur mépris vis à vis de leur gendre. Ce dernier tente de faire bonne figure malgré les remarques racistes de ses beaux-parents et ses projets d’investissements contrariés qui minent son couple. Les deux adolescents jouent à un chat et à la souris trouble au bord de l’inceste.

Tout bascule lentement vers l’horreur lorsque le gardien fuit l’île empoisonnée par l’atmosphère toxique des bourgeois fraîchement débarqués. L’eau potable vient à manquer. L’économie n’était pas au programme. Le manque de confort agace très vite les grands-parents et met leur fille et son compagnon dans l’embarras. Le départ inexpliqué de leur employé sonne comme un abandon. La violence, qui était jusqu’ici symbolique et morale, profite de la peur et de la rage engendrée par la situation d’isolement pour gangrener les relations déjà fragiles. Elle prend des dimensions vertigineuses dont le film choisit de ne pas explorer frontalement les causes, ce qui la rend d’autant plus déraisonnable et terrifiante. La caméra, souvent immobile, aborde froidement les déchaînements les plus cruels, comme paralysée de cette ambiance mortifère, de cette horreur fixe et stagnante qui n’offre aucun mouvement de recul, aucune issue. Les hommes deviennent des bêtes.

Copyright Tamasa Distribution

 

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A propos de Anna Fournier

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