De tout temps et à travers toutes ses nationalités, le cinéma s’est attaché à décrire la figure complexe de l’enfance. Mais depuis une trentaine d’années elle est surtout une figure fétiche du cinéma espagnol et plus particulièrement de son cinéma fantastique. De l’Esprit de la ruche au Labyrinthe de Pan en passant par Cria cuervos, Les Révoltés de l’an 2000 ou encore Fragile, le cinéma espagnol trouve en effet dans la figure de l’enfance un ressort esthétique et narratif privilégié qui lui permet de teinter ses œuvres d’une dimension merveilleuse. Plus encore en associant le regard innocent de l’enfant aux horreurs des guerres qui peuplent l’histoire espagnole, certains de ces films, qui envahissent peu à peu le paysage cinématographique espagnol, travaillent les codes du cinéma fantastique et transforment le monde réel en un lieu rempli de potentialités horrifiques. Ensemble, ils établissent alors les fondations d’un genre où se déploient avec brio un certain goût pour le baroque cinématographique, une sorte de réalisme magique dont la finalité se révèle toujours être l’exorciste de traumatismes enfouis qu’ils soient personnels ou communautaires.
De son emboitement un peu trop parfait dans cette série contemporaine de films fantastiques espagnols, le cinéaste ne retient finalement que les effets (la résurgence de secrets et traumatismes enfouis) pour en nuancer les causes. A mesure que l’intrigue se dévoile et que la narration alternée trouve son rythme de croisière, liée par le soin que le cinéaste apporte à chaque plan, ainsi qu’à la mise en scène virtuose qui les assemble, sublimée par la musique de Johan Söderqvist, le film emporte son spectateur, révélant ainsi la volonté de fresque de Medina qui parvient avec brio à lier l’intime et épique, le destin personnel de ces deux personnages et celui de la nation espagnole toute entière. Propulsé par la double identification à Benigno et à David, le public se retrouve entrainé dans un tourbillon d’évènements dessinant peu à peu avec une minutie absolument terrifiante les plaies d’une nation construite sur des horreurs devenue taboues, sur un passé indicible peu à peu transformé en légendes fantastiques. A la manière de l’extraordinaire Il Etait une fois en Amérique de Sergio Leone, Juan Carlos Medina fait donc de cet enfant le prisme de l’histoire de son pays de son évolution, de ses ambiguïtés et des horreurs qui y ont été perpétrées, tandis qu’à l’image du destin générationnel qui lie Vito et Michael dans le Parrain 2, il fait du choc des destins de Benigno et de David le symbole d’un héritage qui lui ne peut être caché.
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