Le mot Yamabuki se tient à la croisée de trois significations. C’est le nom d’une fleur des montagnes, qui s’épanouit dans les endroits sombres et isolés. Petite tache jaune à la fois humble et lumineuse, elle vient trouer de son éclat le paysage de la petite ville de Maniwa, dominé par les tons gris de la montagne et des carrières. Elle se déploie joliment dans les films d’animation qui forment les deux génériques. Juichiro Yamasaki en a confié la réalisation à Sébastien Laudenbach, lui demandant de ciseler comme la couverture enluminée d’un livre. Les deux séquences composent le contrepoint onirique d’une oeuvre marquée par un réalisme social et politique que souligne le grain du 16 mm. Yamabuki est également le prénom d’une lycéenne taciturne. C’est enfin, apprend-on à la faveur d’un dialogue, un mot argotique de l’ancien japonais qui désigne les pièces d’or, puis l’argent en général: alors que les JO se préparent à Tokyo, les habitants de ce coin perdu de la préfecture d’Okayama semblent se battre pour leur survie. Les yamabuki ou corètes du Japon deviennent dès lors le symbole d’une population humble, sur laquelle les projecteurs ne s’attardent jamais. C’est tout le projet de Juichiro Yamasaki, qui, lorsque il ne tourne pas de films, cultive des tomates à Maniwa, que de révéler sa beauté à nos yeux. Pour cela, il a fondé en 2007 le groupe de production et de projection de films Cinemaniwa. Yamabuki est son troisième long métrage. Il fait suite à The Sound of Light ( 2011), qui mettait en scène un producteur laitier de Maniwa et à Voices at Dawn, un film d’époque sur une révolte paysanne du 18 ème siècle.
À la croisée de significations répond la croisée des destins, le récit étant construit autour d’une multitude de protagonistes dont les histoires s’entremêlent. Parmi eux, Chang-su, un ancien jockey de l’équipe olympique de Corée du Sud que la faillite de son père a contraint à venir chercher du travail au Japon. Là, il tente de fonder une famille avec Minami et sa fille, deux japonaises que leur mari et père a abandonnées. Les caprices du destin et du mari de Minami viendront contrarier ses projets. Le personnage a été inspiré par une rencontre avec l’acteur coréen Kang Yoon-soo (qui l’incarne), venu s’installer à Maniwa avec une famille de quatre personnes, à laquelle ne le lie aucun lien de parenté.
La jeune Yamabuki est quant à elle une lycéenne taciturne dont la mère, journaliste de guerre, vient de mourir à la frontière turco-syrienne. Fidèle à l’esprit de justice maternel, la jeune fille manifeste silencieusement tous les jours au carrefour du village, malgré la réprobation de son père, un policier qui se console de son veuvage dans les bras d’une prostituée venue de Chine. On croise encore une bande de petits truands qui se disputent un sac rempli de billets. Ce n’est pas à proprement parler un film choral, dans la mesure où la figure de Chang-su domine les autres:
«Au départ, dit Juichiro Yamasaki, je ne pensais pas m’attacher à un personnage plus qu’à un autre. J’imaginais écrire quelque chose de plus choral, mais le personnage de Chang-su m’a interpellé, car c’est quelqu’un qui se déplace. Je m’intéresse au mouvement des gens et des choses. À travers lui je pouvais symboliser la question de l’endroit où l’on veut vivre, et avec qui. Au cours d’une vie il y a des déplacements qui sont heureux et d’autres moins, qui sont faits sous la contrainte. Certains partent chercher du travail à l’étranger alors que d’autres sont chassés de leur pays. J’ai évoqué les Jeux olympiques. Il se trouve que pour qu’ils puissent avoir lieu, il a fallu construire des infrastructures à Tokyo et pour cela on a creusé dans les montagnes, un peu partout au Japon. On les a transformées en gravier qui a ensuite servi à faire du béton pour construire ces infrastructures. Il y a eu déplacement, à la fois des montagnes, des pierres vers Tokyo, mais aussi des gens pour des questions économiques, car on a fait venir de la main-d’œuvre depuis la province. Ces déplacements vers la capitale à cause des Jeux m’ont mis très mal à l’aise. C’est pourquoi cette question est présente en filigrane.»
Si le sous-texte politique n’est pas facilement perceptible pour un spectateur étranger, conscient que beaucoup de choses lui échappent, la thématique du déplacement et des collisions qui forment un destin est évidente, et joliment encapsulée dans une scène de chute de pierres conduisant à une petite catastrophe.
Les figures de la chute et du déplacement, la caractérisation des personnages, qui met en avant la perte ou l’incomplétude, le montage très sec auquel ont participé de Yann Dedet et Minori Akimoto, le tournage en 16 mm, créent une toile de fond austère. Mais, comme la fleur qui lui donne son titre, le film sait diffuser un délicat éclat. De petites épiphanies, morales, sensuelles, familiales ou amoureuses s’offrent à chacun de ses personnages. Le surgissement du rouge, les cadrages, forment des tableaux dont la beauté saisit.
Une savoureuse scène burlesque entre deux amoureux permet une douce respiration, tout comme la musique d’Olivier Deparis, légère et ludique, dominée par le son d’ un piano jouet:
« J’ai réalisé le film sans aucune musique en tête, mais j’ai eu envie d’introduire un peu d’humour et d’ironie, ce que permet la musique, car le film tirait trop du côté dramatique. Cela risquait de devenir pesant. La musique est devenue un contrepoint pour ajouter plus de légèreté et de distance. Avec Olivier et Terutarô Osanaï, mon producteur, nous en avons beaucoup discuté. Nous en sommes venus à l’idée d’utiliser le piano jouet comme instrument pour restituer cette dimension d’innocence de l’enfant jouant sur son piano miniature. J’ai dit à Olivier que je voulais que la musique parle d’anges innocents qui jouent des tours au destin des protagonistes, et il a accompli un excellent travail ».
Yamabuki est un point d’entrée attachant dans l’oeuvre d’un cinéaste cultivateur, dont la cohérence géographique, éthique et esthétique, est une jolie découverte.
le réalisateur Juichiro Yamasaki
Yamabuki, 97 minutes
En salles le 2 août.
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