Depuis ses débuts en 2007 et le film de science-fiction porté par Albert Dupontel, Chrysalis, Julien Leclercq tente de tenir le cap d’un cinéma de genre français musclé, fier de ses origines (comprendre qui ne court pas forcément après les États-Unis). En 2016, il signait son projet le plus abouti avec Braqueurs, série B efficace, nerveuse et concise, au sein de laquelle Sami Bouajila excellait en héros d’action. Peu bavard et naturellement charismatique, aussi bien inspiré des « gueules » Melvilliennes jadis incarnées par Lino Ventura ou Alain Delon, que des figures telles que le Robert De Niro de Heat voire l’un de ses héritiers, le Ben Affleck de The Town. L’acteur se révélait surtout un allié précieux pour son réalisateur, devenant l’un des moteurs de la mise en scène. Deux ans après la parenthèse Lukas, dans lequel ce dernier tenait un rôle secondaire, tandis que la tête d’affiche se nommait Jean-Claude Van Damme, les deux hommes remettent le couvert pour La Terre et le sang. Ils délaissent la banlieue parisienne pour établir leur camp au cœur d’une France rurale à l’abandon, en survie. Suite au carton Netflix de Braqueurs lors de sa mise à disposition, cette coproduction franco-belge sort en exclusivité sur la plateforme. Fait encore peu répandu dans l’hexagone, cela marque le début d’une collaboration entre Leclercq et le géant de la SVOD, son prochain Sentinelle avec Olga Kurylenko devrait être disponible ultérieurement dans l’année. Sur la base d’un postulat simple mais immédiatement évocateur, le présent long-métrage vient se poser en relecture énervée et modernisée des Grandes Gueules de Robert Enrico et de La Horse de Pierre Gragnier-Deferre. On découvre Saïd (Sami Bouajila), un homme dont le quotidien se partage entre sa fille de 18 ans, Sarah (Sofia Lesaffre) et la scierie familiale qui représente toute sa vie. Pendant des années, il a difficilement maintenu à flot son entreprise, principalement pour ses employés, tous des anciens détenus et jeunes en réinsertion ; jusqu’au jour où l’un d’eux se sert des locaux pour cacher une voiture bourrée de drogue. Lorsque le cartel auquel elle appartient débarque, le père et la fille vont devoir tout faire pour sauver leur peau. Ils ont un avantage : cette scierie c’est leur terre, ils en connaissent les moindres recoins…

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Protagoniste foncièrement attaché à son exploitation forestière, Saïd apparaît indissociable de son environnement. Julien Leclercq introduit les paysages, au milieu desquels se situe la scierie, au format Scope et à renfort d’amples mouvements de caméra. Le héros fait corps avec son entreprise, elle lui appartient (et réciproquement), idée d’ailleurs significativement illustrée par un court travelling l’incluant au sein de l’espace. L’individu est proche de sa terre, de son héritage, ancré dans une France « périphérique » presque coupée du monde (le réseau mobile ne passe pas au milieu de la forêt). Le réalisateur prête une attention minutieuse aux gestes des employés, à leurs visages, en filmant la rugosité d’un labeur manuel, dont le personnage de Sami Bouajila serait le meilleur représentant. Lors d’une scène où il piège ses assaillants au cœur de ses locaux, sa connaissance de ses outils, de son lieu de travail, désavantage, déstabilise ses ennemis, perdus en territoire inconnu, sur son terrain. Sorte de dinosaure, d’espèce en voie d’extinction, l’acteur revêt le costume de l’homme de valeurs, proche d’une imagerie rurale, comme le furent Jean Gabin ou Lino Ventura avant lui. Le soin apporté aux détails va de pair avec un projet filmé précis et maîtrisé, où le dépouillement constitue un style à part entière. Si dans ses premières réalisations, le cinéaste semblait partagé entre des influences écrasantes (de Fincher à Greengrass) et des aspirations plus modestes (revisiter à sa sauce divers registres qu’il affectionne, de la science-fiction au thriller politique), celui-ci a progressivement épuré son dispositif et gagné en efficacité brute. Son approche presque minimaliste (en dépit de petites afféteries çà et là) depuis trois films, révèle une filiation surprenante avec un cinéma d’action littérale, tel celui des frères Dardenne. L’affrontement contre le gang de trafiquants révèle un choc frontal entre deux camps, deux France, différenciées, entre autres, par les armes utilisées (Uzi, Kalachnikov et Beretta automatiques contre fusil de chasse et hache de bûcheron). Logique poussée à son acmé au détour d’une séquence où s’opposent un luxueux 4×4 et un vieux tracteur agricole. Au sein de ce duel, inscrit dans un décorum de mythologie franchouillarde, se joue également l’opposition entre deux formes d’intégrations. D’un côté Saïd, travailleur, proche du terroir, de l’autre, Adama (Éric Ebouaney), leader d’une bande de gangsters. Les deux hommes ont sensiblement le même âge, ont grandi dans le même pays, et pourtant, tout les sépare. Le film peut alors laisser s’échapper des relents d’idéologie conservatrice, le travail et la protection des siens tels les valeurs positives et terminales face à une délinquance sauvage et sans principes. Pourtant, à y regarder de plus près, Leclercq met en scène deux franges de la population abandonnées, confrontées à des difficultés parfois insolubles (la condition des agriculteurs est évoquée en toile de fond). Il ancre son récit dans un quotidien tangible, reflet de problématiques rencontrées par une classe besogneuse et négligée. Les banlieues, qu’il filme à travers ses plus violents représentants, sont ainsi exposées à une réalité rurale pas si éloignée de la leur. De plus, il se nourrit d’une imagerie qu’il a souvent illustré dans ses longs-métrages et ses clips (revoir le léché et puissant Comme Gucci Mane réalisé pour Kaaris en 2014), celle d’un banditisme français contemporain. En résulte une représentation fidèle à la mode et au parlé actuel, démontrant (si besoin est) une certaine compréhension de l’univers qu’il dépeint.

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Avec sa durée courte (1h20 générique compris), La Terre et le sang formule, à l’instar de Braqueurs et Lukas, un vœu de concision. Dès les premières minutes, le réalisateur rentre dans le vif du sujet avec une scène de braquage tendue (écho direct à sa collaboration inaugurale avec Sami Bouajila). Caméra portée, alternance entre cadres serrés du décor et gros plans de détails, sur fond de pluie battante. Séquence sèche, rugueuse où la tension monte à mesure que le stress des assaillants devient palpable. Les personnages (tous assez jeunes et finalement secondaires pour la suite de l’intrigue) sont présenté dans un environnement urbain (on sent néanmoins déjà l’éloignement d’une grande ville) rapidement délaissé ensuite. Idée de contraste volontaire et désir manifeste de générer une perte de repères. En plus de ce traitement épuré (dialogues réduits au minimum), de mise tout du long, la violence est étrangement expédiée, quasiment reléguée hors-champ durant ce prologue. Au cours d’un deuxième mouvement d’introduction, certains enjeux, survolés voire mis de côté, sont exposés. S’il se débarrassera vite (et tant mieux) de ces scories, Julien Leclercq n’évite pas, dans un premier temps, le piège de répliques sentencieuses, démonstratives et illustratives, par ailleurs aléatoirement incarnés, pouvant faire redouter une approche psychologique lourdingue. De même, que l’un des nœuds de l’intrigue, à base de vente de scierie, aux allures de fiction télévisée consensuelle et formatée, l’intéresse d’évidence moins que le versant action pure du script. Cette trame simple, que les détracteurs qualifieront de simpliste, délestée de fioritures, se fait le ciment d’un western rural à l’efficacité croissante. On pardonne volontiers quelques péchés mignons, telles ces couleurs grisonnantes ou une musique omniprésente trop souvent utilisée pour appuyer certaines sensations (la crainte du grand méchant), résurgence d’un héritage Marchalien, dont l’influence pèse encore (trop) sur l’hexagone, seize ans après son dernier bon film, 36, Quai des Orfèvres. Le cinéaste est autrement plus percutant lorsqu’il s’attelle à mettre sobrement et simultanément en scène, un siège sans concession (sous inspiration de l’indémodable Rio Bravo) et une traque forestière haletante. La violence, d’abord soigneusement évitée, gagne peu à peu ses droits, quitte à surprendre par son intensité. Les climax de cruautés et de sauvageries ne sont pas éludés, à l’image d’une utilisation des chevaux d’inspiration très « médiévale » qui ne s’oublie pas facilement. La maîtrise formelle qui semble s’affûter à chaque nouvelle réalisation, permet non seulement la bonne tenue de son cahier des charges global, mais occasionne aussi quelques tentatives et audaces bienvenues. À l’instar de la première montée de brutalité pour Said, entièrement filmée du point de vue de Sarah, sa fille malentendante. La surdité de cette dernière permet d’un même geste de décupler l’immersion et l’intensité de la séquence, sans trahir une logique de proximité avec les héros. Action et psychologie s’accordent alors sans nécessiter un recours superflu à la parole. La Terre et le sang, n’entend pas réinventer le genre dans lequel il s’inscrit, mais le réinterpréter, le moderniser, honnêtement, humblement, efficacement. Mission accomplie et appréciable, chose pas si courante dans le paysage francophone.

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