La démonologie a le vent en poupe ces jours-ci dans les salles (très) obscures. Trois semaines après la sortie d’Evil Dead Rise, second volet culotté et bien troussé bien qu’un peu maladroit de la saga-remake émanant des classiques gore signés Sam Raimi (par ailleurs producteur de ces nouvelles moutures), L’Exorciste du Vatican, réalisé par l’Australien Julius Avery, intervient à son tour pour nous donner des nouvelles de ce sous-genre de l’horreur difficile à renouveler qu’est le film de possession. En prenant appui sur les expériences de Gabriele Amorth, exorciste en chef de la cité papale, sommité de l’occulte tout autant qu’implacable caution morale au regard de la sainteté officielle qu’il représente, ce film sur lequel nous n’aurions pas misé grand-chose parvient tout à la fois à exécuter les figures imposées du genre tout en les subvertissant par son écriture du personnage de l’exorciste et, par ricochet, des instances supérieures pour lesquelles il travaille.
L’Exorciste du Vatican reste dans sa globalité une œuvre assez traditionnelle : une vieille chapelle espagnole laissée à l’abandon, dont hérite une famille sans histoires si ce n’est celle, tragique, de la mort du père. La mère fait ce qu’elle peut, la fille adolescente est rebelle, le fils traumatisé est muet depuis un an. Ce dernier protagoniste furète dans le sous-sol de l’édifice en passe d’être restauré pour devenir habitable ; il descelle une pierre et découvre une crypte dans laquelle se trouve un sarcophage emmuré. Ainsi libéré de sa prison de pierre, la sépulture se fissure et laisse échapper l’esprit d’un puissant démon (Asmodée, rien de moins que le Gardien des Enfers) qui va prendre possession du corps et de l’esprit du garçon, et parler d’une voix caverneuse par sa bouche close depuis des mois afin de dire des insanités outrancières, de menacer tous ceux qui l’entourent d’une fin terrible… et de réclamer le Père Amorth (interprété par un Russell Crowe comme toujours très solide, aussi goguenard que grave).
Ce n’est pas par sa pure dimension de cinéma d’horreur que le film d’Avery convainc le plus : L’Exorciste du Vatican ne semble pas particulièrement impressionnant par ses effets, puisant dans un réservoir d’images d’Epinal déjà passablement usées : le môme possédé scarifié et défiguré par le Mal qui vit en lui, les portes qui s’ouvrent et se ferment en grinçant comme dans n’importe quelle fiction de hantise, les habitants de la chapelle soulevés du sol, étranglés et/ou jetés le long des murs par une surpuissance invisible. Dans ce défilé des attendus du genre se distingue cependant un élément faisant tout le sel de ce long métrage qui s’avère contre toute attente une vraie réussite : la place laissée à la religiosité.
Le film de possession peut en effet rebuter une partie des amateurs de cinéma de genre par le fait qu’à la surpuissance démoniaque est nécessairement opposée une autre surpuissance qui est celle de la prière et de la foi. Même dans les meilleures œuvres du genre (du film séminal de William Friedkin au plus récent succès public et artistique des films de la saga Conjuring), le personnage du religieux, ou tout du moins du dépositaire de la foi, n’est rien de moins qu’une sorte de super-héros contrant les horreurs d’un autre plan de notre réalité (une sorte de « métavers démonique » ?) à grands coups d’eau bénite, de prières incantatoires et de crucifix brandis avec autorité. Or, selon la vision de Julius Avery, l’exorciste du Vatican n’est pas un super-héros, juste un homme ayant choisi la vocation religieuse mais ayant son passé, ses traumatismes, ses culpabilités. Des failles dans lesquelles s’infiltrent les eaux poisseuses du Mal, le démon se servant des faiblesses de son ennemi pour l’amadouer, l’affaiblir et finalement tenter d’absorber son âme. En dépeignant Gabriele Amorth comme un être faillible, maniant autant la prière que l’humour pour affronter un démon qui « déteste [ses] blagues », marqué par la violence et l’injustice de la Guerre d’Espagne durant laquelle il a vu périr l’ensemble de ses compagnons d’armes dans une embuscade, traumatisé par la mort de l’une de ses ouailles qu’il n’a pas voulu examiner en pensant qu’elle était plus folle que possédée, L’Exorciste du Vatican fait finalement œuvre d’humilité, privilégiant les imperfections de l’humain à un idéal religieux rendant habituellement le genre prévisible et, autant le dire, parfois agaçant par ses caractéristiques prosélytes. La foi est moins ici la solution du combat face au Mal, c’est-à-dire une fin en soi, qu’un outil utilisé par un professionnel du combat contre les démons, au même titre que ses croix, ses médailles saintes et son eau bénite.
Cela n’a l’air de rien mais cette peinture du personnage ouvre de véritables perspectives au genre du film de possession, pouvant se faire critique envers les institutions : de l’affrontement du Père Amorth avec ses supérieurs vociférants au Vatican (la scène est par ailleurs peut-être un brin caricaturale, évoquant étonnamment les scènes rebattues de cinéma policier où un représentant de l’ordre borderline se fait tancer par une hiérarchie par trop frileuse) à sa découverte d’un système clérical lui-même sclérosé par le Mal et ayant censuré toutes les preuves de sa culpabilité (Asmodée ayant absorbé l’âme d’un autre exorciste papal moyenâgeux a guidé celui-ci à organiser l’Inquisition espagnole), le film de Julius Avery multiplie les indices laissant apparaître l’artificialité du manichéisme habituel du genre, faisant de la notion de Bien associée à la religion une lumière pour le moins tamisée. Un système lui-même moins constitué d’éléments irréprochables que d’hommes ayant leurs faiblesses et dans les failles desquelles le Mal est susceptible de s’être engouffré. Le fait d’offrir le rôle du Pape à Franco Nero, ange exterminateur du western européen, incarnation de l’ambiguïté morale permise par un certain cinéma de genre, est aussi savoureux que symptomatique des ambitions nuancées affichées par ce joli long métrage.
Entreprise discrète mais réelle de dépoussiérer un genre qu’on pouvait croire immuable, L’Exorciste du Vatican se permet le tour de force d’appliquer à la lettre le cahier des charges éventé du cinéma de possession tout en faisant preuve d’une originalité et d’une dimension critique certaines. Et fait enfin de Julius Avery un réalisateur à suivre.
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