Synopsis : « en des temps difficiles, un meunier vend sa fille au Diable. Protégée par sa pureté, elle lui échappe, mais est privée de ses mains. Cheminant loin de sa famille, elle rencontre la déesse de l’eau, un doux jardinier et le prince en son château. Un long périple vers la lumière. » L’adaptation du conte des frères Grimm ne dissimule pas sa cruauté : « C’est ta fille que tu as vendue si cher », dit la mère à son meunier de mari, qui a scellé, à son insu, un pacte avec le Diable. Appauvri, subissant la sécheresse et l’avarie, le meunier a accepté de donner au mystérieux inconnu ce qui se trouvait derrière sa maison, en échange d’eau et d’or. L’objet du désir en cache un autre, voilà ce qui rend la dette incommensurable.
Sébastien Laudenbach peint l’opposition entre la pureté et le mal sans verser dans la caricature. Si la structure du conte est classique et répond aux attentes du schéma narratif (rupture de l’équilibre par un élément perturbateur, péripéties et résolution heureuse), la facture de ce film d’animation est quant à elle tout à fait originale. Les planches évoquent le crayonné du pastel, parfois l’aquarelle, ou encore l’estampe : la subtilité du mouvement et les nuances de la palette, alliées à un trait pourtant volontairement grossier, impriment leur délicatesse au graphisme. Avec des effets de crayonné, la peinture joue des épaisseurs, des transparences et des superpositions, crée une profondeur de champ et ferait presque apparaître le grain du papier sous nos yeux. Les planches s’animent, de manière rudimentaire et cependant dans une belle fluidité. C’est la réalisation même, la fabrique de l’image et du conte qui prend vie, de manière aussi heureuse qu’inattendue. On est finalement reconnaissant à Sébastien Laudenbach de n’avoir pas bénéficié des subsides escomptés : au comblement et à la saturation graphiques auxquels nous sommes habitués, il rétorque par l’épure où pointe sa sensibilité de peintre et de lecteur.
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Histoire d’un cheminement, d’un destin subi et accepté, La Jeune Fille Sans Mains aborde le thème du parcours de vie ou du parcours créatif : les obstacles se multiplient sans que ne cède le désir de poursuivre sa route. Bricoleuse et besogneuse, la jeune fille vibre d’émotions diverses, exprimant tant sa tristesse que son allégresse. Et ce même quand prévaut le langage de l’image animée et non du verbe emphatique. Ce ne sont pas des forces abstraites qui luttent – le Bien et le Mal -, pas même des valeurs morales, mais bien les figures qui incarnent ces entités, abrasées dans le délié du trait. Du reste, peu importent le manichéisme et la structure, c’est bien le style de Laudenbach que porte la singularité de la fable.
Limpide comme la rivière qui fend la page, végétal comme la forêt où chemine la jeune fille, animal tel le diable polymorphe et minéral comme la roche qui donne un abri, l’onirisme de Laudenbach esquisse une topographie allusive, qui arrache le spectateur à la pesanteur. La narration est elliptique et fait la part belle aux allégories – telle cette rivière protectrice, avatar de la fée bienfaisante -, laissant au spectateur le soin de combler les vides, d’embrasser le mouvement des lignes inachevées, comme en suspens, et de poursuivre un cheminement imaginaire.
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Si l’adaptation est libre, inspirée d’Olivier Py, Sébastien Laudenbach propose une interprétation personnelle du conte de Grimm, avec des motifs métaphoriques qui révèlent les questions sexuelles sous-jacentes. Aux coups de hache que donne le père dans l’arbre où se réfugie la jeune fille, répondent les soupirs douloureux de celle-ci. Le sang se répand. Du corps de la jeune fille, quoique mutilé, sont toujours soulignées la sensualité et la fertilité. Les appétits charnels des protagonistes sont même au premier plan, et c’est un véritable régal que de renouer avec la tradition des contes, qui ne s’embarrassent de morale ni bien-pensante, ni trop pesante. Quelques scènes encore, sombres et ombrageuses, s’affichent comme des images hallucinées, dont la phosphorescence des arborescences absorbe la noirceur. Un renouveau pour le film d’animation, et ce n’était que trop attendu.
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