Réaliser le portrait d’un auteur de bande dessinée, si talentueux soit-il, est un exercice périlleux. Laetitia Carton s’attaque à ce que l’on nomme habituellement un monstre du 9ème art, un de ces auteurs-dessinateurs au travail puissant, sans équivalent, à un de ces artistes pleins, ces créateurs qui bouleversent, de loin en loin, le monde un trop sage de la bande dessinée. Laetitia Carton tente de dresser le portrait de l’un de ces bienfaiteurs de l’humanité, Edmond Baudoin.

À l’instar de Baudoin lui-même se faisant sermonner par Robial quant à sa volonté de raconter une histoire en bande dessinée (« Les histoires me font chier », lui aurait lancé Robial, « il n’y a plus d’histoires »), Laetitia Carton n’ pas choisi de nous raconter l’histoire de Baudoin. Ou peut-être que si. Elle a mis ses pas dans ceux de Baudoin, elle l’a regardé danser, parler, dessiner, elle l’a regardé vivre. Baudoin, après la remise au point de Robial, a retrouvé son chemin à la suite d’un concert de Miles Davis. Il a compris. Il ne faut plus vouloir raconter une histoire, il faut déconstruire le récit, mélanger les histoires, désordonner les dessins, il faut faire émerger du sens à partir d’un collage de dessins, de paroles, de sons, de vides et de silences. Quelques dizaines de livres plus tard, force est de reconnaître de Baudoin a réussi son pari. Les lignes ont bougé, il est devenu celui qui a inventé une narration en bande dessinée, une longue autobiographie graphiquement sublime et intellectuellement stimulante. Pour ceux qui ne connaissent pas le travail de Baudoin (et on s’étonne qu’il y en ait encore), ce film est une très belle initiation. Pour les autres, c’est comme un prolongement, un approfondissement, une étape de plus de franchie dans cette vision du monde si particulière du dessinateur.

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Il se dit beaucoup de choses dans ce documentaire, mais deux d’entre elles nous ont semblé être très bien rendues par la caméra de Laetitia Carton. D’une part, on l’a dit, Baudoin ne raconte pas d’histoire. Et Laetitia Carton de découper son récit, de réaliser un collage magnifique de bout de vie, de promenades en forêt, de danses étranges, de coups de pinceaux, de présentations poétiques à des enfants de ce qui fait l’art de la peinture et de regards, beaucoup de regards. Et, naturellement, il ressort de ces entrelacements un portrait touchant et subtil de l’artiste. Le portrait, justement, est le deuxième point sensible du film. Baudoin prétend qu’on ne fait finalement jamais le portrait de quelqu’un, qu’un artiste ne dessine toujours  qu’un autoportrait raconté par le visage de l’autre. Ainsi, pas plus l’artiste que le quidam lambda, ne peut s’approcher de l’autre suffisamment pour le connaître réellement, le représenter ou l’aimer. Il demeure toujours une distance, infranchissable, entre l’autre et moi. Et cette quête, vaine et belle à la fois, qui consiste à vouloir tout de même franchir cette distance est le véritable travail de l’artiste selon Baudoin. Rien d’autre, mais une vie n’y suffit pas. Laetitia Carton ne peut donc, pas plus que Baudoin lui-même, faire un portrait exact de Baudoin, elle ne le connaîtra jamais réellement, mais elle prend ce chemin, elle s’enfonce dans cette impossibilité de s’approcher au plus près de l’autre et arrive, comme par magie, à nous faire ressentir qui ce bonhomme étrange qui philosophe (assez justement d’ailleurs), dans son village de l’arrière-pays niçois, sur la question de l’être.

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Et voilà, le film de Laetitia Carton est aussi beau, touchant, sensible et intelligent qu’un livre de Baudoin. Et c’est pas peu dire.

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