Cinéaste du groupe et des destins individuels, Laurent Cantet ne cesse d’étudier les relations complexes, mystérieuses ou conflictuelles régissant le corps social. Dans L’Atelier, il confronte ses personnages à un lieu chargé d’histoire(s) dont la mémoire ne coïncide plus avec le présent.
Travaillant une nouvelle fois avec son co-scénariste Robin Campillo, l’auteur d’Entre les murs reprend un projet ébauché à la fin des années 90, dix ans après la fermeture des chantiers navals de La Ciotat. Si à l’époque la blessure peine à se refermer, elle semble désormais faire partie du passé : la ville se rêve en station balnéaire quand les anciens bassins industriels se sont reconvertis dans la réparation de yachts.
Olivia, auteure de polars, anime un atelier d’écriture réunissant quelques jeunes de la ville. Fidèle à sa méthode, Laurent Cantet filme avec plusieurs caméras et capte au plus près les échanges mis en places lors de répétitions précédant le tournage. Vivantes et rythmées, les scènes de groupe alternent avec le rapprochement qui s’opère entre l’écrivaine et Antoine, jeune homme mystérieux, brillant et provocateur se plaçant en retrait du groupe tout en s’investissant dans le projet. S’il s’agit d’écrire un roman policier dans le cadre de La Ciotat, le jeune homme semble suivre une démarche plus intime en s’interrogeant notamment sur son propre rapport à la violence.
Figure d’une gauche « bien pensante », Olivia manie autant la langue de bois qu’elle s’investit avec sincérité dans l’atelier. Souvent maladroite, pas forcément à sa place, elle se rapproche de celui qui, par son attitude et les textes qu’il propose, met en doute sa légitimité.
La narration explore le lien qui se crée entre ces deux personnages sans cesser de les relier au groupe. À la facilité de les présenter comme deux opposés qui s’attirent, le scénario préfère travailler sur la fascination et le rejet. Intellectuelle et probablement physique, l’attraction qu’ils exercent l’une sur l’autre fonctionne comme un miroir. Antoine pousse Olivia hors de sa zone de confort tout en se dévoilant malgré lui. Plus brillante et plus à l’aise avec le verbe, l’écrivaine peine en psychologue et se heurte à l’instabilité du jeune homme qui se cherche. Alors qu’elle lui impose son statut de romancière à l’aise avec les médias, lui semble errer en quête d’un sens à donner à sa vie : il fréquente un cousin lié à l’extrême droite, manie des armes, sculpte son corps et s’oppose souvent frontalement aux autres jeunes. Entre refus des modèles sociaux imposés et volonté de rompre avec l’ennui, Antoine représente une jeunesse qui ne se sent pas prise en compte.
En sous-texte du récit, présent dans les échanges, La Ciotat et ses chantiers navals défaits inscrivent le film dans une réalité presque oppressante. Entre le devoir de mémoire et le sentiment que le présent importe davantage, les membres de l’atelier exposent des sentiments liés à leurs histoires personnelles.
Laurent Cantet multiplie les sources visuelles : des simulations de jeux vidéo, un clip de recrutement pour l’Armée de Terre ou des images d’archives alternent avec d’esthétiques prises de vue des calanques ou du corps d’Antoine. Finalement peu montrés, le port et les chantiers navals manquent à l’évocation géographique des lieux. Détachés les uns des autres, les différents décors ne rendent pas compte de la topographie d’une ville qui s’inscrit pourtant au cœur du récit. Ce bémol d’importance contraste avec l’intelligence d’un scénario qui réussit à hisser ses personnages bien au-delà de l’anecdote. En fin de récit, cependant, reprenant les codes du thriller dans une séquence nocturne anxiogène, le film parvient à éblouir.
Comédien débutant au même titre que les jeunes inscrits à l’atelier, Matthieu Lucci apporte à son personnage une profondeur supplémentaire. Tour à tour buté ou séducteur, antipathique ou émouvant, il irradie un casting par ailleurs très homogène. Seule professionnelle du groupe, particulièrement investie dans le projet, Marina Foïs navigue avec justesse entre assurance et perte de repères.
Film d’écriture à plus d’un titre, prenant notamment pour thème d’étude la forme narrative et nourrissant son récit d’un scénario d’une profonde intelligence, L’Atelier porte sur le monde contemporain un regard qui nuance certaines visions binaires aujourd’hui trop répandues.
À lire l’entretien avec Laurent Cantet réalisé par Carine Trenteun.
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